Spoonies

Être malade

Au début de ma maladie, en plus de lire des articles sur l’Internet mondiale, je me suis mise à suivre des youtoubeuses ayant des maladies rares, chroniques, orphelines et qui en parlaient sur leurs chaines Youtube. Elles étaient jeunes et pourtant déjà terriblement malades. Il y avait une telle envie de vivre dans les vidéos que cela tranchait avec la réalité de ce qu’elles montraient. Elles étaient tellement habituées aux soins qu’imposaient leurs maladies respectives. C’était il y a 5 ans. Avec le temps et mon apprentissage de la vie avec la maladie, j’ai fini par me désabonner de leurs chaines. Je n’avais plus besoin de découvrir ce que c’était de vivre avec, je vis avec. Récemment, je suis retournée sur certaines de leurs chaines. C’est ainsi que j’ai appris que plusieurs d’entre elles étaient mortes.

La maladie tue.

C’est toujours saisissant comment la vie ne tient pas à grand-chose. Je sais bien que la maladie tue. Elle a tué ma mère d’un cancer du pancréas en moins d’un an quand j’avais 15 ans. La maladie est arrivée et la mort a suivi. Ce fut terriblement rapide. J’ai vu son état se dégrader à grande vitesse en moins d’un an. La maladie laisse un vide dans la vie et dans le cœur.

L’annonce d’un diagnostic d’une maladie rare, chronique et orpheline, peut être quelque chose de difficile et entraine un travail de deuil, mais j’écrirai un autre article dédié à cela. Aujourd’hui, j’ai plutôt envie d’aborder le sujet du vivre avec. Il y a même un youtoubeur qui a nommé sa chaine Youtube « Vivre avec » .

À chaque maladie son vivre avec, je ne suis pas légitime pour savoir comment les autres personnes qui sont malades vivent avec leur maladie. Que ce soit la même maladie que la mienne ou bien d’autres maladies. Bien entendu, je ne parlerai que pour moi.

J’ai la chance d’avoir une maladie qui n’a pas une mortalité élevée, surtout lorsqu’elle est diagnostiquée et traitée. J’aurais pu espérer une version plus légère, comme par exemple, sa version « courte », hélas, je ne peux pas toujours être gagnante, j’ai la version longue. Avec le traitement la maladie est assez bien contenue. La maladie m’handicape peu, dans la mesure où je peux travailler à temps plein. En revanche, je suis bien plus fatiguée qu’avant et je dois vivre avec de nombreuses douleurs. Je vais tout de suite nuancer mon propos, car trop souvent la valeur d’une personne malade est mesurée à sa capacité de travailler ou pas. Je vous mets en lien un autre article où je vous dis pourquoi la maladie m’handicape.

Tous les jours, je dois forcer pour ne pas écouter toutes les douleurs avec lesquelles je vis. Tous les jours, je dois prendre mes médicaments et leurs effets secondaires. Tous les jours, je dois vivre avec ma maladie. Tous les jours, elle se rappelle à moi, s’impose à moi. Elle impose sa présence et ses conséquences.

Comment savoir si la douleur à l’hypocondre droit n’est pas le signe d’une nouvelle crise de la maladie ou bien juste une douleur passagère sans importance ? Ou bien est-ce à cause d’une chute ? Comment savoir si la douleur est à cause de la maladie ou d’autres choses. Il devient difficile de faire différence entre la douleur qui nous prévient d’un problème et qui remplit son rôle d’alerte, de la douleur de la maladie qui n’est qu’un symptôme avec lequel je dois composer. Comment savoir combien de temps va durer cette douleur, comment savoir si elle va diminuer ou augmenter ? Comment interpréter les palpitations alors que je suis allongée en train de me reposer. Que dire de ces vertiges, est-ce la fatigue, une crise d’hypoglycémie ou bien la maladie qui se mettrait à attaquer mon système nerveux ? Que faire de ces extrasystoles que je n’avais pas avant ? Mais pourquoi mon cœur se met à battre à 110 pulsations minutes alors que je suis assise ? Mon visage est engourdi, est-ce normal ? Que penser de l’engourdissement de ma cuisse même si je peux marcher ? Il y aurait encore bien d’autres exemples.

Ma maladie a une variété très importante de signes et symptômes. Il faut du temps pour les identifier, pour les comprendre, s’il y a quelque chose à comprendre. Il faut un temps d’adaptation pour éviter de paniquer au moindre symptôme suspect. C’est un apprentissage pour savoir si tel ou tel symptôme doit durer une certaine durée et si c’est normal dans le cadre de ma maladie, mais si cela va au-delà d’un temps imparti alors il faut aller consulter. Surtout qu’au début de la maladie, j’étais très attentive à mon corps et aux changements liés à la maladie. Il faut aussi s’habituer à la réaction des médecins et à leur façon d’interpréter tel ou tel résultat médical. Par exemple, il faut qu’un résultat soit 100% ou 200% au-delà de la norme pour qu’un médecin commence à s’inquiéter alors qu’en tant que patiente, nous nous inquiétons dès que nos résultats sortent de 0,001% des normes indiquées sur la feuille des résultats d’une prise de sang. Et en même temps, il ne faut pas montrer aux médecins que nous nous renseignons sur l’Internet mondial. Croyez-moi, au début, les médecins n’aiment pas ça et peuvent nous accuser de dramatiser la situation ou de surinterpréter ou de bien d’autres choses désagréables et elles adorent nous rappeler que ce sont elles les médecins, et pas nous. Il a fallu du temps avant que ma médecin ait confiance en moi. Ce qui est amusant, c’est que j’ai noté son évolution au cours du temps vis-à-vis de ce qu’elle pouvait penser de moi. Évidemment, je ne lui ai pas demandé, donc tout cela n’est que supposition. Mais cela se voit. Réciproquement, elle a dû noter mon évolution vis-à-vis de la maladie.

Aussi évident que cela puisse paraître, être malade, ce n’est pas qu’avoir un diagnostic, c’est vivre avec sa maladie et toutes ces conséquences. Vivre avec une maladie, c’est avoir un pilulier – plusieurs en réalité – lors de sa trentaine – ou pas, certaines maladies ne requièrent pas un traitement lourd -, être connue de toutes les pharmaciennes de sa pharmacie habituelle, c’est connaitre son hôpital par cœur, c’est voir beaucoup trop de médecins, beaucoup trop souvent, notamment pour son suivi médical, c’est avoir un classeur de soin où toutes les ordonnances, bilans, résultats, résumés, le moindre de bout de papier est trié et rangé dans ce classeur, encore une fois pour le suivi médical, c’est aussi faire ses soins si la maladie en impose. Vivre avec, c’est aussi, ne pas être bien, avoir des jours off, avoir des nausées, avoir son appétit qui fait n’importe quoi, avoir des vertiges, avoir des symptômes inexpliqués et inexplicables, avoir mal, avoir faim, car certain médicament augmente la sensation de faim, devoir suivre un régime particulier à cause de la maladie ou du traitement, passer de mauvaises nuits, dormir, ne pas dormir, trop dormir, être dans le brouillard, etc. bref, être malade. Oui, être malade, c’est vivre avec sa maladie et c’est loin d’être glamour. Ce n’est pas amusant d’attendre des heures et des heures soit dans la salle d’attente d’une médecin ou à l’hôpital, pour faire de l’administratif ou bien pour attendre une consultation. Ce qui est difficile à expliquer, c’est qu’être malade, c’est être malade.

La maladie, ce n’est pas qu’un nom. Ce n’est pas que le syndrome truc muche, c’est avant tout, une réalité quotidienne pour les patientes, pour des raisons administrative, médicale ou autre. Par exemple, je ne peux pas cacher ma maladie au travail, ne serait-ce que lorsque j’utilise mon TENS, l’appareil fait « bip » à chaque fois que j’appuie sur un bouton, et en plus de bien s’entendre, cela se voit. Je prends des médicaments au moment du déjeuner et je n’ai pas envie de me cacher. Il y a aussi un peu plus de paperasse à cause des arrêts maladies. Parfois je dors sur l’heure du midi. Il faut aussi jongler entre son travail et ses consultations de médecins. J’ai la chance d’avoir des qualifications très demandées par les employeurs, je suis donc très peu embêtée par ces derniers pour aller en consultations, faire mes prises de sang ou me reposer si nécessaire, mais c’est loin d’être le cas de tout le monde.

Être malade, c’est aussi devoir faire attention à où nous voyageons – quand nous avons la chance de pouvoir voyager -, prévoir son traitement et ses consultations en fonction. Savoir que nous pouvons nous sentir mal à n’importe quel moment et nécessiter des éventuels soins ou prise en charge par les urgences. Être immunodéprimée – quand c’est le cas -, c’est devoir faire attention à ne pas tomber malade d’une autre maladie « bénigne » , car un simple rhume peut mal se passer. C’est être à jour de tous ses vaccins, voire un peu plus. C’est aussi découvrir les joies d’une bronchite ou d’une pneumonie à cause de son système immunitaire qui fait n’importe quoi. Spoiler : ce n’est pas une partie de plaisir. C’est avoir envie de gronder son système immunitaire, si seulement c’était possible. Être malade, c’est être moins disponible pour sa famille. Vous vous doutez bien qu’avec cette panoplie de symptômes, nous sommes moins en forme et donc nous avons moins de temps pour s’occuper de notre famille – quand nous en avons une -, de plus, lors des hospitalisations, nous ne sommes plus là pour s’occuper des enfants ou tout simplement, de l’intendance, de la maisonnée, faire la cuisine, le ménage, les courses.

Quand nous sommes malades, nous avons, parfois, le superpouvoir de l’affection longue durée – ALD pour les intimes -. C’est plus qu’un diagnostic et une prise en charge médicale à 100% par la sécurité sociale, ce qui facilite déjà beaucoup de choses. Par exemple à l’hôpital, une fois mon ALD enregistrée, je ne m’occupe jamais des paiements, cela fait moins d’administratif. Quand je vais aux urgences, encore une fois, hormis donner ma carte de sécurité sociale, je ne m’occupe de rien d’autre en terme d’administratif. Dans certains centres médicaux à Paris, il y a un dépassement d’honoraire, avec une ALD, c’est le tarif de la sécurité sociale, car le centre médical sait qu’il n’y aura pas de problème de remboursement, encore une fois, je ne m’occupe pas des paiements, je ne suis pas inquiétée par cela. L’ALD, c’est aussi une certaine reconnaissance auprès des autres. Ce n’est pas être la fainéante de service ou bien l’hypocondriaque de service, c’est avoir la preuve d’un diagnostic qui peut expliquer la fatigue par exemple. C’est surtout utile auprès d’autres médecins que ses médecins habituels. Cela permet d’être prise au sérieux tout de suite, de plus, un diagnostic permet aux médecins de se faire une idée plus précise de ce à quoi s’attendre avec nous. En réalité, la plupart du temps, elles ne connaissent pas la maladie, mais cela peut piquer leur curiosité. Et surtout, au moment du paiement, les médecins libéraux adorent les ALD, c’est la garantie d’être remboursée par la sécurité sociale et peut être aussi l’impression de faire de la médecine sans avoir à passer par la caisse enregistreuse. Avec une ALD, je sais que je peux bénéficier de l’intégralité du système de soin français sans soucis. C’est un peu comme une carte VIP, mais dans le système de soin français. Cela peut aussi être utile pour la demande d’une carte de priorité ou d’un mi-temps thérapeutique. L’ALD confère aussi quelques droits supplémentaires en terme d’arrêt maladie et de jour de carence.

En particulier, dans mon cas, et j’insiste parce que c’est vraiment ce qui me gêne le plus, c’est avoir mal tous les jours, et je peux vous dire que ce n’est pas facile. La douleur, c’est vraiment quelque chose avec laquelle il est difficile de vivre. Oui, je me répète, je sais !

Être malade, c’est mon quotidien.