Spoonies

La douleur est invalidante

Il est possible d’avoir mal de cinquante façons différentes. Quand je dis cinquante, cela pourrait être cent, ou encore plus. À vrai dire, peu importe, car il est extrêmement difficile de comparer deux douleurs d’une personne à une autre. Les soignantes écrivent précisément les termes employés par les patientes pour décrire la douleur en évitant de les influencer sur les termes choisis : lancinante, perçante, aiguë, paroxystique, en pointe, sourde, éphémère, brûlante, irritante, tenace, électrisante, diffuse, et ainsi de suite. Hélas, la douleur ne fait pas que mal, elle nous rend invalides.

Si vous vous entaillez le doigt en cuisine et que vous saignez, vous allez mettre un pansement et vous aurez du mal à cuisiner. Il sera difficile de cuisiner parce que votre doigt vous fait mal, parce que les mouvements sont plus compliqués, parce que la douleur vous empêche de réfléchir correctement, parce que vous avez peur de vous refaire mal. La douleur ne fait pas juste mal, il y a des conséquences aux douleurs.

Maintenant imaginez une douleur chronique. Les douleurs chroniques sont plus ou moins fortes. – et comme je l’ai déjà dit dans un autre article du blog – je classe mes douleurs chroniques en trois catégories :

  • Les douleurs suffisamment faibles que je peux ignorer et je peux fonctionner normalement
  • Les douleurs suffisamment fortes pour que je sois obligée de prendre des antalgiques, avec les antalgiques je peux fonctionner normalement
  • Les douleurs trop fortes, même avec tous les antalgiques à ma disposition, je n’arrive plus à fonctionner normalement

Il faut savoir que même avec des antalgiques, il est impossible d’atteindre le « zéro douleur » quand les douleurs sont trop fortes.

Comme je l’ai dit dans un autre article, je ne m’habitue pas aux douleurs. La même douleur sera aussi invalidante quel que soit le nombre de fois qu’elle survient. Je m’habitue à avoir mal et j’apprends à vivre avec mes douleurs. Si je connais la cause des douleurs, il est plus facile de vivre avec.

Précédemment, j’ai donné un exemple assez simple de pourquoi les douleurs sont invalidantes. Dans mon cas, lorsque je me réveille, j’ai généralement mal au dos et à d’autres zones du corps, de façon récurrente, c’est le dos qui est douloureux, plus précisément la partie inférieure du dos. La douleur est trop forte pour que je puisse fonctionner normalement, je dois prendre au moins un tramadol pour prendre en charge cette douleur. Comme un tramadol met environ une heure pour prendre suffisamment en charge la douleur, pendant une heure, je dois attendre l’effet de l’antalgique. C’est une période pendant laquelle il m’est difficile de travailler ou de faire autre chose. Si c’est important ou urgent, je peux forcer, mais cela influera sur ma fatigue générale ou mon humeur. Lorsque j’ai mal je suis irritable et je perds vite patience. Lorsque je suis trop fatiguée, je suis irritable aussi. Les matins sont toujours difficiles à cause de cela. Il faut se dire que tous les matins, je me réveille avec une douleur qui varie entre 4 et 7 sur 10 sur l’échelle de la douleur des soignantes. J’ai déjà écrit un article sur les douleurs nocturnes, lorsque cela survient, j’ai passé une mauvaise nuit, autant vous dire que la journée commence mal, parce que je cumule d’emblée fatigue et douleur dès le réveil.

J’ai une variété de douleurs qui peuvent survenir sans prévenir. Les douleurs continues fatiguent sur le long cours, mais elles sont anticipables, je peux planifier ma prise d’antalgique pour me soulager de ces douleurs. Il faut aussi savoir que les antalgiques ont des effets secondaires non négligeables, il est très préférable d’en prendre un minimum. Laissons de côté ces douleurs continues pour l’instant, je reviendrai dessus ultérieurement. Abordons les douleurs non anticipables, il y a les douleurs du visage, des bras, des jambes et du corps, de partout en fait, j’ai littéralement mal partout.

Au visage, j’ai les douleurs de type névralgie trigéminale. Ces douleurs sont très fortes, très intenses, lorsqu’elles surviennent, je n’ai pas le choix, je suis obligée de me « shooter » aux antalgiques, car je ne tiens pas, et même avec une dose bien supérieure à ce qui m’est prescrit en anti-douleur, je ne peux plus fonctionner. Je m’allonge et j’attends, je ne peux rien faire, juste attendre, je ne peux pas lire, je ne peux pas regarder de vidéos, je ne peux pas faire de courses, je ne peux pas cuisiner, je ne peux rien faire. Mon esprit est accaparé par la douleur, Je dois attendre. Heureusement, ces douleurs ne surviennent que quelques fois par mois depuis que j’ai un traitement supplémentaire pour la névralgie trigéminale. Malgré tout, elles surviennent encore.

Concernant les bras et les jambes, c’est un peu similaire, apparemment, ce serait la sarcoïdose qui se manifeste dans les muscles et les articulations causant ainsi des douleurs intenses. Au niveau des articulations la douleur est plutôt modérée, et bien prise en charge par les antalgiques, en réalité je prends rarement des antalgiques que pour les douleurs articulaires. Je trouve que les effets secondaires des antalgiques sont plus importants que les douleurs articulaires. En revanche pour les douleurs au niveau des muscles, c’est une autre histoire. Au début je pensais que ce n’étaient pas des douleurs importantes, je pensais pouvoir les ignorer, puis je me suis rapidement aperçue que je n’arrivais à rien faire quand j’avais ces douleurs. Elles m’empêchent de me concentrer, je tourne en rond, je n’arrive plus à travailler – j’ai un travail où j’ai besoin d’être très concentrée -, je ne suis pas bien, elles entraînent un mal-être général, c’est peut-être aussi à cause de cela que j’ai eu du mal à les cerner dès le début. Ce n’est pas une douleur aiguë à une zone précise du bras, c’est le bras qui fait mal sans savoir exactement où. Le bras ou les deux bras, cela dépend des fois. J’ai vraiment pris conscience de la gêne occasionnée par ces douleurs le soir, lorsque j’essaie de m’endormir et que quelque chose ne va pas, mes bras me font mal et cela ne veut pas s’arrêter, m’empêchant ainsi de m’endormir. La douleur me rend dingue, je m’énerve. Le seul moyen de trouver le sommeil étant encore une fois de se « shooter » avec des antalgiques. Quand je dis que je me « shoote » aux antalgiques cela veut dire que je prends deux tramadols à une heure d’intervalle ainsi qu’un Acupan – dont la prise est compatible avec le tramadol, attention tous les antalgiques ne sont pas compatibles entre eux -, ensuite je renouvelle les tramadols toutes les deux heures et l’Acupan toutes les six heures. Le soir aussi peut être difficile, pour éviter de déclencher la dépendance physique aux opioïdes, j’essaie de ne pas prendre de tramadol le soir, parfois je n’ai pas le choix. Au niveau des cuisses, ce sont les douleurs paroxystiques qui sont gênantes, car elles surviennent sans prévenir et déclenche une violente et éphémère douleur dans la cuisse, pouvant me faire tomber si je suis debout. C’est une douleur fugace et foudroyante.

Pour ce qui est du corps, le reste du corps, j’ai un peu mal à tous les niveaux, je peux avoir des douleurs, un peu comme les douleurs fugaces et foudroyantes des cuisses, qui me traversent de part en part du corps. Je peux avoir des douleurs terribles et perçantes au niveau supérieur de la colonne vertébrale, ce doit être au niveau des vertèbres thoraciques. Je ressens comme une zone de douleur intense et je dois attendre que cela passe. Contre ces douleurs sont éphémères, je n’ai pas trouvé de parade, car les antalgiques mettent trop de temps à agir. Si je prends les antalgiques qui sont à ma disposition, les douleurs intenses se seront terminées bien avant que l’antalgique commence à faire effet. De plus les antalgiques ne sont pas efficaces contre ces douleurs. À plusieurs reprises, j’ai eu ces douleurs alors que j’avais pris mes antalgiques précédemment et qu’ils faisaient pleinement effet, peut-être que cela a diminué un peu l’intensité de la douleur, mais ce doit être négligeable. Contre ces douleurs, je ne peux rien faire et ces douleurs m’empêchent de fonctionner. Je dois attendre qu’elles passent.

Concernant les douleurs anticipables, c’est encore une fois le dos, la partie inférieure de la colonne qui me pose problème ainsi que les jambes à cause de micros nodules dans la colonne vertébrale. Ces micros nodules – en tout cas, c’est l’hypothèse la plus vraisemblable – seraient à l’origine de ces douleurs, car ils seraient au contact des nerfs. Ces micros nodules sont la cause de douleurs continuent, tout mon corps en dessous de la ceinture est constamment, plus ou moins, douloureux. Quand la douleur est trop forte, j’utilise le TENS qui est assez efficace, en revanche pour le bas du dos, je trouve qu’il n’y a que le tramadol qui est vraiment efficace. Comme ces douleurs sont continues et non paroxystiques, il est plus facile de les gérer au quotidien parce que je peux anticiper la prise d’antalgiques. De plus, attendre une heure que les antalgiques fassent effet ne m’empêche pas de fonctionner. Ce qui est difficile avec ces douleurs, c’est qu’elles sont continues. C’est vraiment la continuité de la douleur qui la rend difficile de vivre avec. Il n’y a pas de repos, de moment où je peux me dire que je n’ai mal nulle part. Une autre douleur que je peux anticiper, c’est la douleur qui se déclenche dans mes jambes quand je reste debout immobile trop longtemps. Je ne sais pas pourquoi, mais cela finit par me faire mal aux jambes, comme si un nerf était pincé, rendant la position debout immobile intenable. Les antalgiques ne sont pas efficaces contre cette douleur.

En soit, les douleurs ne m’empêchent pas de vivre, de fonctionner, mais elles altèrent mes capacités, augmentent ma fatigue générale, diminuent ma patience, influencent mon irritabilité. Je ne me déplace plus sans un minimum d’antalgiques avec moi, je prévois aussi mes déplacements, mes activités en fonction de la douleur que je pense avoir. Ce n’est pas un handicap prototypique, mais cela joue sur mon autonomie.

Je n’aborde pas en détail toutes mes douleurs, car ce n’est pas forcément intéressant et j’en ai déjà énuméré un bon nombre. Cependant, vous devez vous dire qu’avec toute cette panoplie de douleurs, vous devriez me voir avoir mal. Il est peu probable que vous me voyiez avoir mal, car cela fait déjà cinq ans que je vis avec ces douleurs et que je ne les montre plus. Occasionnellement vous pouvez me voir faire une grimace aussi fugace que la douleur est fulgurante, mais c’est tout. D’autant plus que si vous me rencontrez, il est hautement probable que je me sois déjà truffée d’antalgiques pour pouvoir fonctionner normalement. Les douleurs qui m’empêchent de fonctionner sont assez rares, quelques fois par mois, et généralement je reste chez moi.

Pour gérer ces douleurs, je ne prends pas que du tramadol ou de l’Acupan, mais aussi d’autres médicaments au long cours qui ont pour but de diminuer à la fois la fréquence et l’intensité des douleurs. Il ne faut pas oublier que tous ces médicaments ont des effets secondaires.

Comme je le disais au début de cet article, la douleur ne fait pas seulement mal, elle est aussi invalidante. Elle est invalidante, car je me limite aux activités qui me semblent compatibles avec mes douleurs, elle est invalidante car j’essaie constamment de trouver une place assise partout où je me déplace, elle est invalidante car elle augmente grandement ma fatigue générale, elle est invalidante car elle peut me faire tomber lorsque je suis debout, elle est invalidante car elle peut m’empêcher de m’endormir ou de bien dormir, elle est invalidante car elle peut me réveiller en plein sommeil, elle est invalidante car elle peut perturber ma concentration et ainsi diminuer mon efficacité au travail, elle est invalidante car je dois prendre des antalgiques et vivre avec les effets secondaires, elle est invalidante car les antalgiques peuvent cacher les symptômes d’autres maladies, elle est invalidante car elle est toujours présente et que j’ai toujours conscience de sa présence, elle est invalidante car elle me rend irritable.

Pour toutes ces raisons, la douleur est invalidante.