Ancrage
C’est le retour des fleurs comme image d’article. Je n’avais pas beaucoup d’idée, les fleurs, cela fonctionne toujours comme image d’article. J’aime bien leur éphémérité, l’idée que ce n’est que temporaire me plait. Un peu comme la vie après-tout. A l’échelle de la planète une vie humaine n’est qu’éphémère.
Est-ce que cela vous le fait aussi ? Être seule au milieu des gens. C’est un drôle de sentiment. Comme s’il m’était impossible de m’ancrer aux autres. Tout comme l’impression d’être une personne différente en fonction des gens que je vois. Parfois je me dis qu’il ne faut pas mélanger les groupes de gens que je fréquente, je ne saurais pas qui être. Parfois je trouve cela bizarre de ma part. Je me demande pourquoi je fais ça. Sauf que ce n’est pas vraiment un choix. Je m’adapte aux gens comme je le peux.
Être seule au milieu des autres. Être entourée mais ne pas se sentir intégrée. Être dans un groupe social sans en faire partie. J’ai enfin compris que mon absence de réciprocité sociale est un obstacle à une meilleur intégration. Je suis censée donner le change, réagir à ce que vous me dites, adopter un langage non verbale qui vous renvoie cette réciprocité sociale, cette réciprocité émotionnelle. La monotonie de ma voix semble vous perturber aussi. De nombreuses personnes me l’ont dit. Elles m’ont aussi aidé et m’ont expliqué comment il faut réagir, comment il faut se tenir, alors je fais ce qu’elles m’ont dit. Pour cela, je les remercie. Je hoche la tête, j’ouvre les yeux, je souris, je prends un air étonné, j’essaie de rebondir sur vos propos, j’essaie de modifier le ton de ma voix, je fais tout cela en boucle. J’essaie de le faire tant que je le peux. Je ne peux, hélas, pas le faire sans discontinuer, ce n’est pas une réaction naturelle chez moi, je dois la jouer, jouer à la réciprocité sociale m’épuise. Je ne sais pas comment répondre, je ne sais pas ce qu’il faut dire, parfois je ne saisis même pas que c’est mon tour de parole. Vous devez avoir l’impression que cela ne m’intéresse pas, ou bien, que je suis hautaine, que je vous ignore. Je me concentre pour vous regarder dans les yeux, mais pas trop, mais pas trop peu non plus. J’essaie de faire en sorte de ne pas orienter la conversation vers mon intérêt spécifique bien que l’envie me brûle.
Je mets du temps à vous apprendre, chaque personne est unique, je dois apprendre les personnes une par une. C’est beaucoup d’effort et cela requière du temps. Au début, je ne suis pas bavarde, je ne ferai que vous regarder, je vous écouterai et je vous apprendrai. Je peux divaguer très vite lors d’une conversation. Je dois me recentrer sur ce que vous me dites. Mon esprit part vagabonder et intérieurement, je me gifle en m’obligeant à vous écouter. Votre flux de parole passe à travers moi et je vous demande de répéter. Je vous poserai plusieurs fois la même question. Vous me donnerez plusieurs fois la même réponse, sauf que la répétition vous mettra la puce à l’oreille. Vous vous demanderez si je vous écoute quand vous me parlez.
Je ne sais pas rebondir sur ce que vous dites, vous devrez faire la conversation, je ne vous relancerai pas, je ne saurais pas prendre l’initiative de la conversation. Vous allez surement me lancer plusieurs perches que je ne saurais pas saisir.
De mon côté, je ne vous saisirai pas, je vous écoute, je fais tous les efforts nécessaires, je mets en place tout ce que j’ai appris et ce n’est pas suffisant. Vous préférez discuter avec une autre personne. Parfois je ne comprends pas le sens de vos phrases, je ne sais pas s’il faut lire entre les lignes, je ne sais pas s’il faut rire ou être triste, je vais me fier à la réaction des autres. Peut-être ferai-je semblant en imitant le reste de l’auditoire. Il est probable que je ne réagisse pas.
Je vais voir des groupes de gens, je vais discuter un peu, mais je ne vais pas m’intégrer à la conversation. Finalement, je ne ferai que passer. Je vous écoute un peu puis j’irai me réfugier là où c’est confortable, là où je me sens bien. Je rêvasserai.
C’est ce que cela fait, d’être entourée de personnes tout en étant seule.