Unmasking
Désolée pour ce terme anglais, je trouvais que la traduction n’était pas terrible. Ce que j’aime bien dans la langue anglaise, c’est qu’un seul mot peut envelopper tout un concept, alors qu’il faut presque une phrase entière en français pour la même chose. Faire tomber le masque, démasquer, enlever le masque, je trouve que cela ne porte pas la même signification et la même force que leurs homologues anglais. J’utiliserai donc ce terme comme si c’était un mot français dans mon article. Je parle un bon franglais, déformation professionnelle. J’ai quand même prohibé le mot « mepping » , – les dev comprendront -, il vaut mieux faire du franglais que dans un seul sens.
Pour éclaircir les choses, pour la bonne raison que j’ai besoin du contexte pour comprendre un sujet, je situe toujours mes propos dans un contexte, ici, je parle de l’unmasking de l’autisme. Je vous avouerai que je suis toujours dans mes recherches sur l’autisme et je me documente énormément sur le sujet ces temps-ci. J’ai enfin réussi à trouver une psychologue entrainée à faire passer des tests et recommandée par le CRA de l’Île-de-France, qui accepte de me rencontrer. Lorsque nous sommes adultes, c’est plus difficile de trouver des professionnelles de santé qui acceptent de vous prendre en charge pour un dépistage. Comme je ne me satisferais pas d’un auto-diagnostic, parce que je trouve que n’importe qui peut s’autodiagnostiquer, et surtout parce que cela ne sera pas du tout reconnu, je veux absolument faire les démarches nécessaires pour confirmer ou infirmer ce que je pense. Je veux savoir.
Toujours est-il que je ne vais pas attendre des mois et des mois pour avancer de mon côté. Même si à la fin de mes démarches diagnostic, il m’est annoncé que je ne suis pas autiste, je reste plus que certaine que j’en ai au moins un certain nombre de traits. Dans tous les cas, je me connaitrais mieux. Le but étant de mieux me connaitre, de mieux connaitre mes besoins et de mieux équilibrer ma vie afin de satisfaire ces besoins et d’atteindre une plénitude.
J’ai l’impression que ces dernières années, notamment avec le travail, je forçais toujours plus pour m’adapter socialement, ce qui, inévitablement, me fatiguait de plus en plus. C’est en particulier mon burn out lors de mon précédent travail qui m’a vraiment fait réfléchir à mes problèmes dans les interactions sociales. Je savais depuis toujours que je ne fonctionnais pas comme tout le monde socialement. Principalement, parce que les autres me le disaient, ou me le reprochaient. Je ne comprenais pas pourquoi, ni comment, je savais juste que c’était différent. Je me demandais constamment si mes problèmes dans les interactions sociales étaient les mêmes pour les autres, sauf que les autres auraient été plus douées que moi pour les surmonter. Cependant, jusqu’à un certain point, je me rendais bien compte que ce n’était pas que ça. La différence était trop grande et le fonctionnement était clairement différent. Il y avait quelque chose de différent. Je me rendais bien compte qu’au quotidien, mes comportements étaient différents, mes manies, mes habitudes, mes exigences, mon besoin de contrôler mon environnement, mes besoins en général étaient différents. J’ai cette sensation de vivre constamment dans le chaos et j’essaie sans cesse de faire diminuer ce chaos. Se fondre dans la société est toujours coûteux, cela requiert un effort constant. Je me ressource lorsque je suis seule, lorsque je m’adonne à mes intérêts spécifiques, seule. Raison pour laquelle j’ai pu développer un radix sort state of the art sur mon temps libre. Ce n’est pas un petit travail qu’il est aisé de faire en plus d’un travail à temps plein. Je pense que je ferai un article sur toutes ces différences, j’ai le sentiment que je pourrai écrire indéfiniment sur toutes ces différences que j’essaie de camoufler au quotidien. Tout cela me fait penser que j’ai résisté jusqu’à présent, mais que maintenant, c’est la goutte qui fait déborder le vase, et que j’ai besoin de savoir, de comprendre et d’ajuster pour éviter d’exploser.
Après la prise de conscience, après les interrogations, après les réflexions, je cherche à mieux me connaitre pour mieux ajuster ma vie. J’ai regardé un nombre important de vidéos sur Youtube sur les personnes autistes qui font leur unmasking.
Après une prise de conscience, l’entourage peut remarquer une résurgence des traits autistiques. Je vais reprendre l’explication que plusieurs youtubeuses utilisent. C’est que toute notre vie, nous camouflons nos comportements naturels et nous faisons cet effort presque inconsciemment après des années, des décennies de pratique, cela est coûteux et tout d’un coup, nous prenons conscience que nous faisons semblant, que ce n’est pas notre vrai soi et que nous avons le droit d’arrêter de faire semblant. Nous avons le droit de commencer à écouter nos besoins, d’ajuster notre vie pour aller mieux. Alors oui, pour se ressourcer, nous avons besoin de nous isoler, pour ne pas être épuisées tous les soirs, notamment après une journée de travail, nous faisons moins d’effort social, nous ne nous forçons pas à prendre la parole lorsque nous sommes au milieu d’un groupe social, nous arrêtons de faire semblant de nous intéresser à tous vos sujets. Je me rends compte que j’ai déployé énormément d’effort pour avoir l’image d’une personne gentille, je réussis plus ou moins bien. C’est ce qui est attendu, en particulier parce que je suis une femme. Pourtant, cette coquille sociale se craquelle, et cette dissonance se révèle à vous avec le temps. J’ai souvent entendu que c’est parce que c’est moi, c’est Axelle, comme si Axelle était un comportement social défini, mais suffisamment rare ou détonant pour devoir le nommer avec mon prénom.
J’ai l’impression que l’unmasking n’est pas quelque chose qui se fait aisément, que cela nécessite du temps. Il faut comprendre, il faut se documenter sur les comportements autistiques, savoir quels traits nous concernent. Surtout, il faut savoir comment adapter ses comportements pour ne plus subir la société sans non plus devenir une connasse insupportable. Pourquoi faire autant d’effort de socialisation si c’est pour tout détruire en un instant. Être autiste n’est pas non plus une excuse pour mal se comporter, Cela dit, cela peut expliquer certains comportements.
Désormais, je me permets de plus m’isoler, sans pour autant abandonner ma part des tâches ménagères. J’essaie de voir à quel point cela peut m’aider. Je fais moins d’efforts pour me souvenir de vos informations personnelles, étant donné que c’était déjà le fiasco, cela ne peut pas être tellement pire. Ne vous étonnez pas si je vous demande cinquante fois si vous avez des frères et sœurs. Sachez que je ne me souviendrai toujours pas de la réponse. Maintenant que je sais que j’ai besoin d’assouvir mes besoins en m’adonnant à mes intérêts spécifiques, je consacre plus de temps à cela. Je comprends mieux pourquoi, au travail, parfois, je ne pense qu’à mes intérêts spécifiques, pourquoi je suis obnubilée par cela et que cela perturbe mon travail. Après, l’informatique est de façon récurrente un de mes intérêts spécifiques et de temps en temps le travail en devient un. Au grand bonheur de mon employeur, je suppose. Dans ce cas, je me mets à travail sans cesse, sans limites entre ma vie professionnelle et ma vie privée. Ne voyez pas cela comme de l’exploitation de mon temps personnel par mon employeur, mais plutôt comme une aubaine pour les deux parties. Mon travail n’est pas toujours mon intérêt spécifique, cela dit, il le devient souvent. Cela dépend des projets que j’ai à faire. Un sujet qui va me plaire a beaucoup de chance de devenir un intérêt spécifique. C’est aussi pour cela que je peux faire de l’informatique mon travail. C’est que régulièrement, je ne fais pas d’effort pour travailler, cela devient une nécessité, un plaisir. Lorsque cela arrive, mes collègues sont étonnées par le volume de travail que je fournis. En revanche, pas tous les projets que j’ai au travail deviennent des intérêts spécifiques et dans ce cas, je sais très bien poser la limite entre ma vie privée et professionnelle.
Fréquemment, le dimanche, je m’enferme dans ma bulle, seule, je fais de la pâtisserie ou de la cuisine en me coupant du monde, mon corps est là, mais mon esprit est ailleurs. Je suis dans ma cuisine qui me sert de bulle. Régulièrement, quelqu’une vient interrompre ma bulle, ce qui m’énerve un peu, en plus, il faut leur dire bonjour. Les gens me reprochent de leur dire bonjour de façon tardive alors que j’ai juste besoin de plus de temps pour processer leur rencontre. Lorsque les circonstances m’empêchent de profiter suffisamment de ma bulle, je suis particulièrement de mauvaise humeur ensuite. Encore une fois, c’est ma femme qui m’a fait remarquer cela. Que si je n’avais pas mon temps à moi, par exemple, en étant interrompue par les enfants qui me sollicitent pour n’importe quelles raisons, ou bien que des invitées inattendues arrivent, ou bien qu’un événement quelconque survient ou n’importe quoi d’autre, eh bien, dans ce cas, je suis d’humeur massacrante et je me mets à gronder tout le monde. Maintenant que j’ai conscience que j’ai besoin de ce temps seule, à vaquer à mes occupations, à assouvir mes besoins en faisant mon intérêt spécifique, je me garde ce temps et j’empêche les autres de m’interrompre, je mets mon casque antibruit et je pâtisse. Évidemment, je suis moins disponible pour les enfants.
Je me suis acheté un fidget toy, je l’apprécie beaucoup. Je ne ressens pas de pulsion qui m’oblige à y jouer, en revanche, cela me plait beaucoup de le faire tourner entre mes doigts. J’essaie de ne plus m’interdire de faire certaines stéréotypies en public, en revanche je fais toujours attention à ne pas faire trop de bruits bizarres. Je me suis souvent demandée si mon comportement, parfois enfantin, était adapté à mon âge, car je ne voyais pas les gens du même âge que moi avoir ce genre de comportement. Parfois j’ai envie de jouer en imitant une grenouille qui saute, je fais des blagues d’enfants aux autres, je ne suis pas sérieuse au travail lorsque parfois il faudrait être très sérieuse. Je tourne mes doigts dans tous les sens lorsque je m’ennuie, en particulier lors des réunions de travail. J’ai envie de faire une course de chaises de bureau dans les couloirs ou bien de tourner dessus. Lorsque j’étais à CraftAI, j’étais beaucoup plus à l’aise et je me permettais d’avoir un comportement plus libre sans non plus ne plus me contrôler. Dans mes derniers travails, je ne me le permets pas encore. Je vais quand même éviter de faire la grenouille devant mes collègues.
Pour la communication, je n’hésite plus à dire que je n’ai pas compris le mot, la phrase, la blague, en particulier lorsque mon interlocutrice ne finit pas ses phrases, comme s’il fallait que je devine la suite, chose dont je suis hautement incapable. Je ne comprends pas vos sous entendus, je ne devine pas vos pensées. Je saisis le sarcasme seulement lorsqu’il est évident. Il faut me dire clairement, directement et précisément ce que vous voulez me dire. J’essayais encore de participer à la discussion d’un groupe de plus de quatre personnes, maintenant, je n’essaie même plus, sauf lorsque c’est dans mes sujets spécifiques. Je fatigue trop à essayer de m’insérer dans la conversation, c’est trop compliqué pour moi, cela m’use. Cela fait longtemps que j’ai compris que les gens ne comprenaient pas les mots qui sont prononcés par leurs interlocutrices, en revanche, elles devinent le propos et peuvent donc fournir une réponse cohérente. Je suis incapable de deviner le mot que je n’ai pas bien compris, et je peux avoir l’air de mal entendre ce que vous me dites. Je n’entends pas moins bien que les autres, en revanche, je ne reconstruis pas le mot que j’entends que partiellement et ne de devine pas vos phrases.
Cela fait plusieurs mois que je me fais la remarque que j’aimerais bien vivre ailleurs que dans Paris, la pollution, le bruit, les incivilités, la foule, les files d’attentes. J’aime beaucoup la nature, j’aime être dans la nature. Les bruits de la nature ne me gènent pas alors que le bruit des villes finissent par m’agresser une fois que ma résistance est usée. Je fais des essais, j’essaie de mieux me protéger du bruit, avec ces bouchons d’oreilles et mon casque noise cancelling. J’observe si je me sens mieux en l’utilisant ou pas.
Je complexais sans cesse de ne pas savoir garder des relations amicales sur le long terme. Je comprends mieux pourquoi je galère à ce niveau là maintenant. Contrairement à ce que nous pourrions croire, être autiste ne veut pas dire que nous n’aimons pas les relations sociales, cela veut juste dire que les relations sociales sont plus compliquées pour nous et que nous sommes dans l’incapacité de nous ressourcer en présence d’autres personnes. De fait, cela limite notre capacité à supporter la présence d’autrui. Lorsque je discute avec d’autres gens, je suis sans cesse en train de me demander ce que je dois répondre, ce que je dois dire, je ne réponds pas spontanément, vous pouvez l’observer parce que je ne réponds jamais immédiatement, il y a toujours un temps de réflexion avant que je sois capable de vous répondre. Pour certains sujets, cela peut paraître légitime, mais en réalité, même pour un simple bonjour, je mets un certain temps avant de répondre. Ce qui, visiblement vexe les gens. Je comprends mieux aussi pourquoi, lorsque je rentre dans un magasin et qu’une vendeuse me parle, je prends trop de temps pour répondre et elle se met à me parler en anglais car elle doit penser qu’entre ma tête de touriste et mon hésitation, je n’ai pas compris son propos. Si jamais j’essaie d’intervenir dans une groupe en pleine discussion, je peux avoir un sujet ou deux de retard par rapport au groupe, donnant l’effet d’un cheveu dans la soupe de la discussion du groupe qui a déjà changé plusieurs fois de sujet. Tout comme je suis brutalement honnête, cela dit, je fais très attention à cela, car cela m’a vallu de nombreuses déconvenues.
Plus j’avance dans mon article et plus je me dis que se démasquer n’est pas facile et même pas désirable d’un point de vue de la société. Trouver le juste compromis serait la meilleure solution. Je continue de réfléchir à cela. Dans un premier temps, comprendre, c’est déjà un bon premier pas.