Spoonies

Douleurs chroniques

Le féminin est utilisé par défaut dans cet article. Cet article n’a pas pour but d’énoncer une vérité absolue, mais seulement de donner mon avis, de partager mon expérience, rien de plus.

Quand les médecins m’ont diagnostiqué une sarcoïdose fin 2016, après une année entière de symptômes divers et variés, je n’avais pas encore de douleurs chroniques. J’ai fini ma dernière année d’étude en informatique sur les rotules. Après quatre ans en fac de psychologie, j’ai enchaîné sur cinq années en informatique, j’avais plus qu’envie de terminer mes études et de commencer à travailler. Notre première fille venait de naître et moi j’avais la maladie qui se développait en moi. C’est seulement en décembre 2016 que j’ai eu des douleurs inexpliquées qui m’empêchaient de marcher, j’avais l’impression que mon corps se coupait en deux. Cela en plus de la fatigue, des insomnies et des malaises. J’ai passé une dizaine de jours à l’hôpital pour finalement, malgré toutes les analyses médicales, ne pas connaître les raisons de ces douleurs. Ces douleurs sont toujours inexpliquées aujourd’hui malgré toute l’imagerie médicale et les diverses analyses médicales existantes.

Suite à cette hospitalisation, les douleurs sont restées, et la médecin qui me suit me prescrit du tramadol, de l’acupan, du laroxyl et des béta-bloquants pour que je puisse gérer les douleurs. J’ai aussi des consultations au centre anti-douleurs de l’hôpital, ce qui m’a permis d’obtenir un TENS.

Pendant un an, après le diagnostic, j’ai appris à m’adapter à la maladie, à vivre avec, à la connaître au fur et à mesure que nous cohabitions. C’est seulement un an après la fin de mes études en informatique et grâce au traitement médicamenteux que je me suis sentie suffisamment en forme pour chercher du travail.

Lorsque nous avons toujours été en bonne santé physique, l’idée que notre corps pourrait être en mauvaise santé est en dehors du champ des possibles. La survenue d’une maladie rare, chronique et orpheline est un choc qu’il faut surmonter. J’ai beaucoup lu sur Internet tous les articles plus ou moins académiques, les postes de blogs, les forums, les « chats » et divers groupes sociaux de patientes avec la même maladie ou une autre maladie rare chronique et orpheline. J’ai trouvé qu’il y avait assez peu d’informations. Finalement j’ai trouvé plusieurs youtoubeuses qui parlent de leur handicap ou de leur maladie – qui n’est pas la maladie que j’ai – sur leur chaîne. Il faut un certain temps avant de se rendre compte que de nombreuses dynamiques sont transversales à ces maladies rares et aux handicaps.

Je me suis aussi mise à chercher des informations sur les douleurs chroniques et leurs traitements. C’est, après tout, le premier symptôme le plus envahissant avec lequel je dois vivre au quotidien. La fatigue, les nausées, les malaises ne sont qu’en arrière-plan par rapport aux douleurs. J’aurais vraiment aimé trouver plus d’informations, plus de témoignages de gens sur leurs expériences avec les antidouleurs, sur leur apprentissage de la vie avec des douleurs chroniques. Je n’ai pas vraiment trouvé d’associations non plus et les médecins sont débordées. Elles n’ont pas vraiment le temps de nous informer, et en réalité, il est difficile d’expliquer quelque chose qu’elles ne vivent pas. Je voulais des témoignages de gens qui l’avaient vécu, qui savent ce que c’est de devoir manger jusqu’à huit cachets de tramadol par jour pour simplement fonctionner.

C’est ce manque d’informations qui aujourd’hui me pousse à écrire des articles sur mon blog pour qu’il y ait un témoignage de plus à disposition de celles ou ceux qui vivraient la même chose que moi. Cette rubrique « spoonies » n’a pas pour but d’attirer votre sympathie ou votre compassion, gardez-les pour vous, c’est avant tout pour informer et aussi rassurer celles et ceux qui feront la même expérience que moi de la douleur. Oui, il est possible de vivre avec des douleurs chroniques, de conserver des activités, et de retrouver le bonheur. C’est difficile, mais pas impossible.

Fonctionner, plutôt que vivre

Lorsqu’on vit avec des douleurs chroniques ou une maladie qui nous handicape, le terme « fonctionner » devient vite une réponse à la question de comment ça va. Je « fonctionne », car c’est une description plus fidèle de la réalité que de dire « je vais bien » ou bien encore « ça va ». Fonctionner, car il est possible de faire les courses, le ménage, de travailler à temps plein ou à temps partiel, de s’occuper de sa famille, de cuisiner, d’avoir quelques « hobbies », et si vraiment la chance est avec nous, de sortir, de prévoir des vacances, de voir des amies. Bien évidemment, il faut ajouter le poids des soins, la prise des médicaments, les divers traitements si autres traitements, et tous les rendez-vous médicaux qui deviennent une vraie question sur un emploi du temps très surchargé pour une personne qui vit avec une maladie rare ou un handicap.

La réalité, c’est que « fonctionner » implique rarement la possibilité de faire tout ce qui est décrit précédemment. Seules les tâches les plus urgentes sont faites. Le reste est repoussé jusqu’à ce que ça devienne la tâche la plus urgente. Nous devenons les reines de la procrastination, non par fainéantise, mais par épuisement, car oui, la douleur épuise physiquement et mentalement.

Ce terme de « fonctionner » est très utilisé par les spoonies, et aussi par les médecins. J’ai appris ce terme de la part d’autres patientes, mais très rapidement je me suis aperçue que ma médecin utilise aussi ce terme pour me demander comment je vais, car elle sait très bien que je ne lui répondrai pas que je vais bien, je fonctionne grâce aux antidouleurs qu’elle me prescrit.

« Fonctionner », faire des tâches, être encore utile à la société, auprès de sa famille, ne pas être une charge – inutile – pour sa femme ou son mari, pouvoir être encore en capacité de s’occuper de ses enfants. Tout cela est représenté par le terme de « fonctionner ». Je « fonctionne » car je peux encore faire des tâches qui sont valorisées par la société. Il est important de « fonctionner », de pouvoir faire ce qu’il est attendu de nous. Par exemple, en 2017, l’étude Sexual functioning among young adult cancer patients: A 2‐year longitudinal study, montre qu’une femme à six fois plus de risque d’être quittée à l’annonce d’un cancer qu’un homme. Mis à part l’indéniable asymétrie des tâches qui sont attendues si on est un homme ou bien une femme, il est indéniable qu’au sein du couple, il faut aussi fonctionner.

« Fonctionner », plutôt que vivre.

Les douleurs

Lorsqu’on parle de douleur, on peut s’imaginer une multitude de possibilités, du bras cassé, à l’accident de voiture, aux blessures de guerres, à la violence conjugale, mais cela peut aussi être les douleurs dites psychologiques, le harcèlement, le chantage, une rupture amoureuse. La douleur est une expérience riche et variée qui peut survenir en de nombreuses occasions. La douleur, le rapport que nous avons à la douleur, la tolérance à la douleur, voire la définition de la douleur est quelque chose d’éminemment personnelle. La façon dont nous vivons la douleur et la façon dont nous l’exprimons est propre à chacune. Il est extrêmement difficile de comparer deux douleurs ou la « même » douleur chez deux personnes différentes, tant elles peuvent l’exprimer de manière diamétralement opposée.

Dans cet article, je parle principalement des douleurs physiques, ces douleurs que nous ressentons, car c’est un signal d’alarme que nous lance notre corps pour dire qu’il y a un problème au niveau de la zone douloureuse. Le corps est assez bien fait, et nous signale par une expérience désagréable que quelque chose est un danger pour nous.

Cependant, le corps peut se tromper, le corps peut envoyer un signal d’alarme – sous forme de douleur – alors qu’il n’y a pas de lésions, de blessures ou de danger. Ces douleurs, qui sont ressenties aussi vivement que les autres douleurs, peuvent être comparées à ce qui est communément appelé des douleurs fantômes. Si quelqu’un perd une jambe suite à un accident de voiture, cette personne pourra ressentir des douleurs à cette jambe alors qu’elle ne l’a plus. C’est parce que le nerf qui conduit le signal nerveux de la douleur de la jambe au cerveau est « déclenché » par une autre cause à un autre endroit sur le nerf restant et ainsi ce nerf se met à envoyer le signal nerveux de la douleur au cerveau. Ainsi il est possible de ressentir des douleurs à des membres que nous n’avons plus.

Bien évidemment, ce mécanisme fonctionne aussi si nous n’avons pas perdu de jambe ou de bras. Cela peut fonctionner sur n’importe quelle partie du corps.

Plusieurs raisons peuvent être la cause de douleurs de ce type. Le nerf peut être lésé à un endroit et se met à envoyer le signal nerveux de la douleur ou alors des petits nodules peuvent appuyer sur le nerf en ayant le même effet.

Ces douleurs qui, a priori, n’ont pas de « vraies » causes sont ressenties aussi vivement que la même douleur avec une « vraie » cause.

En plus de toutes ces douleurs complexes, avec une « vraie » et une « fausse » cause, que nous ressentons à un endroit alors qu’elle est déclenchée ailleurs, et potentiellement sur un membre que nous n’avons même plus, il existe les douleurs plus classiques. Les douleurs où quelque chose, comme une maladie ou une blessure, est la source des douleurs.

Certaines maladies sont connues pour être très douloureuses. La fibromyalgie – fibromyalgia ou fibro -, la névralgie du trijumeau – trigeminal neuragial ou TN -, sont parmi les maladies qui ont pour réputation d’être extrêmement douloureuses. La célèbre chanteuse Lady Gaga est atteinte de fibromyalgie, ce qu’elle dévoile dans son documentaire « Gaga: Five foot two« . Il est important que des personnalités publiques parlent de leurs maladies, cela permet d’apporter un autre regard sur celles qui vivent avec une maladie ou des douleurs chroniques. À l’opposé, certaines maladies ne sont pas réputées pour être douloureuses. Lorsque je parle de maladie, je sous-entends « maladie rare chronique et orpheline ».

Typiquement la maladie que j’ai, la sarcoïdose ou BBS – Besnier-Boeck-Schaumann -, n’est pas réputée douloureuse. Les médecins reconnaissent vaguement que la forme aiguë – le syndrome de Lofgrën – peut faire un peu mal, mais comme c’est la forme non chronique et non létale qui a un temps de rémission de quelques mois sans traitement, il n’est pas vraiment nécessaire pour la médecine d’approfondir le sujet. Toutes les personnes avec qui j’ai pu discuter de cette forme aiguë et qui l’ont eue m’ont toutes parlé de leurs douleurs et du fait que les médecins n’y croient qu’à moitié ou y apportent peu d’importance. Certaines médecins prescrivent des antidouleurs, mais c’est vraiment parce que les patientes insistent. Pour la forme chronique, et éventuellement létale et donc grave, les douleurs apparaissent en fonction des atteintes de la maladie. C’est une maladie dysimmunitaire granulomateuse qui peut affecter n’importe quel organe du corps. Son action principale est l’inflammation suite à un emballement de la réponse immunitaire. Cela crée des nodules qui se logent dans les organes et qui interfèrent avec leur bon fonctionnement. Certaines atteintes peuvent être non douloureuses et d’autres extrêmement douloureuses. Certaines atteintes peuvent avoir une répercussion sur l’esthétique de la personne – les atteintes cutanées -, d’autres atteintes peuvent passer inaperçues, voire sans symptômes. C’est une maladie qui est compliquée, car ses manifestations peuvent être très variées, ce qui rend le diagnostic différentiel difficile.

Je vous assure que cette maladie – la sarcoïdose – peut être extrêmement douloureuse. À chaque fois qu’une soignante me demande où j’ai mal, je réponds : « partout ». Au début de ma maladie, clairement les soignantes ne me croyaient pas, car elles me demandaient si je pouvais préciser « partout ». Oui, partout, de la tête aux pieds, en passant par les bras et tout le reste du corps. Dit ainsi cela peut sembler absurde, et pour de nombreuses soignantes, cela l’est. Cela leur était d’autant plus absurde que l’imagerie médiale ne montrait pas de raisons réelles à mes douleurs, enfin presque.

Incrédules face aux douleurs

« Si elle a mal, il doit y avoir une raison ». Peut-être, je ne sais pas, en revanche ce que je sais, c’est que l’imagerie médicale et toutes les analyses médicales ne sont pas capables de mettre en avant cette raison. Autrement dit, je n’ai pas de preuve que j’ai mal. Et pourtant elle tourne, pardon, et pourtant j’ai mal. J’ai un nodule dans la colonne vertébrale. Au début je pensais que ce nodule était responsable de nombreuses douleurs que j’avais, mais cela ne correspondait pas à sa localisation. Lorsqu’une IRM a mis évidence d’autres mininodules encore plus petits dans ma colonne, je suis convaincue que j’ai des micros nodules qui touchent mes nerfs, mais qui sont trop petits pour être détectés par l’IRM. Cependant, je vois bien que pour le corps médical, ces micros nodules sont trop petits, car à peine visible à l’IRM, et donc ne peuvent pas être la cause dès mes douleurs. Et pourtant j’ai mal.

La douleur qui est quelque chose de très personnelle, qui n’est pas ressentie de la même manière par chacune et chacun et qui est manifestée de manière très différente d’une personne à une autre, a en commun qu’il est difficile de croire quelqu’un d’autre qui dit avoir mal si nous ne pouvons pas se projeter sur la raison de sa douleur, et éventuellement si nous ne l’avons pas vécue soi-même. Est-ce que quelqu’une qui ne se serait jamais cassée quoique ce soit peut imaginer la douleur que c’est de se casser un bras ? Est-ce que quelqu’une qui n’a jamais reçu un tir de balle d’une arme à feu peut se projeter sur la douleur qu’elle ressentirait si elle se faisait tirer dessus par une arme de guerre ? Est-ce que quelqu’une qui n’a jamais eu de cancer peut ressentir la douleur vécue par une patiente qui a un cancer en phase terminal ? Est-ce que quelqu’une qui n’a jamais eu de rage de dents peut se représenter la douleur déclenchée par une rage de dents ? Je pourrais trouver une infinité d’exemples de ce type, pour finalement revenir à une seule idée : il est difficile d’imaginer réellement la douleur ressentie par quelqu’une d’autre, même lorsque nous sommes nous-mêmes concernées par les douleurs chroniques.

Dans notre société de la performance, de la méritocratie, de la persévérance, de la force, de la fierté, du courage, est-il possible de dire « j’ai mal » sans passer pour quelqu’un qui se plaint tout le temps, qui pleurniche et qui veut attirer un peu d’attention sur soi ? Est-ce si grave de vouloir recevoir un peu d’empathie de la part d’autrui ? Est-ce un problème de dire que nous ne sommes pas assez fortes ?

Quelqu’une qui a des douleurs chroniques doit les combattre, se montrer forte et surmonter sa peine. C’est en tout cas ce qui est attendu de cette personne dans la lignée du dépassement de soi-même.

« I am not a warrior » from Jessica Kellgren-Fozard

La vérité, c’est que les gens ne croient pas aux douleurs des autres ou vont tenter de les minimiser, quand ce n’est pas de tout simplement les ignorer.

En particulier les soignantes semblent avoir beaucoup de mal à croire aux douleurs des patientes surtout s’il n’y a pas de preuve médicale, ce que les soignantes appellent les « signes ». Un signe est quelque chose d’objectivement observable, quelque chose qu’on peut prouver, quantifier, expliquer avec notre connaissance de l’art médical. Sans être en contradiction avec le signe, le symptôme est au contraire ce que la patiente exprime, mais ne peut pas prouver. Dire « j’ai mal à la jambe » est un symptôme, montrer la barre en fer qui traverse la jambe douloureuse suite à une chute à vélo est un signe objectivement observable par les soignantes.

Malheur à celles qui disent avoir mal, mais qui n’ont pas les signes pour les soutenir, malheur à celles qui disent avoir très mal, mais qui ne se tordent pas de douleurs aux pieds du soignant. Répondre qu’on a mal à 7 sur 10 sur l’échelle de la douleur sans se tordre en deux est le meilleur moyen pour passer pour une personne qui exagère, ou qui est fragile à la douleur ou qui ment aux yeux des soignantes, une malade imaginaire, une hypocondriaque.

S’il n’y a pas de preuves objectivement observables par un tiers, alors les tiers resteront incrédules à vos douleurs. Cela sera encore plus aggravé si vous êtes une femme et encore plus si vous êtes une femme de couleur.

On ne s’habitue pas aux douleurs

La douleur a ce petit quelque chose qui fait que nous ne pouvons pas l’ignorer, et pour cela il faut qu’il soit impossible de s’habituer aux douleurs. En revanche, nous oublions « vite » la douleur. Cela reste un vague souvenir d’une période passée désagréable. Il est possible de se souvenir de l’idée de la douleur, de se souvenir que c’était très douloureux, mais nous ne nous souvenons pas de la douleur en elle-même.

S’il était possible de s’habituer aux douleurs, alors les douleurs perdraient de leur capacité à alerter notre corps. Il faut alors que les douleurs soient incontournables.

De par mon expérience, je classifie les douleurs en trois niveaux.

Pour moi, le premier niveau de douleur, ce sont les douleurs avec lesquelles on peut vivre sans prendre d’antidouleur – antidouleur de niveau 2 au moins -. Ces douleurs sont gênantes, désagréables, mais ne nous empêchent pas de vivre « normalement », de fonctionner.

Le deuxième niveau de douleur, ce sont les douleurs où il n’est plus possible de fonctionner sans antidouleur. Avec les antidouleur, la sensation de douleur est presque supprimée. La douleur n’est plus suffisamment présente pour pouvoir perturber une activité normale.

Le troisième niveau de douleur, c’est lorsque même avec des antidouleurs, il n’est plus possible de fonctionner correctement ou qu’il n’est plus possible de fonctionner du tout. Je pourrais faire des sous groupes, mais je préfère en faire qu’un seul, car dans les deux cas, la douleur est trop envahissante et malgré les antidouleurs, elle perturbe notre fonctionnement. C’est juste une question sur l’intensité de la perturbation. Lorsque ce niveau de douleur est atteint, dans tous les cas, le niveau de détresse est trop élevé pour que ce soit ignoré.

Puisque la douleur est une expérience si personnelle, il est difficile de la quantifier sur une échelle de la douleur. Bien que cela serve aux soignantes de savoir si la douleur évolue ou pas – en continuant de demander aux patientes de noter la douleur sur une échelle de 1 à 10, avec le temps, cela permet de voir si la douleur évolue selon l’échelle interne de la patiente -. D’autant plus que cette échelle interne peut grandement fluctuer d’une patiente à une autre en fonction de ses expériences passées vis-à-vis de la douleur. De la même manière, l’appréciation de la douleur par les soignantes peut grandement varier d’une soignante à l’autre.

Avec le temps, je me suis rendu compte que j’oubliais la douleur. Par exemple, j’ai des douleurs aux visages, ce sont parmi les douleurs les plus violentes que j’ai depuis que j’ai la sarcoïdose. Sur le moment ces douleurs me sont insupportables, elles sont clairement dans le troisième niveau de douleur. Pourtant, une fois que c’est fini, je me souviens seulement que j’ai eu mal et que ce fut terrible, mais je ne me souviens pas de la douleur en elle-même. Je peux avoir de nouveau mal au visage, de la même manière, que précédemment et je me ferai la remarque que cette fois-ci c’est particulièrement douloureux. En réalité, ce n’est pas plus ou moins douloureux, c’est jusqu’à ce que j’aie oublié la douleur de la dernière fois.

En cela il est impossible de s’habituer aux douleurs. Attention ceci est mon expérience personnelle. Cela n’a rien d’une vérité générale.

La douleur est harassante

Vivre avec des douleurs chroniques nous oblige à lutter en continu contre la douleur et lutter en continu contre la douleur, c’est épuisant. C’est épuisant physiquement, car avoir mal est épuisant, il faut lutter physiquement contre la douleur, et c’est aussi épuisant mentalement. Avoir mal ne permet ni au corps ni à l’esprit de se reposer.

Lorsque la douleur est présente, cela crée comme une tension continue, cela occupe une place de notre pensée, comme un minuteur qui sonnerait en continu pour signaler que la douleur est là. Il serait bien évidemment impossible d’arrêter le minuteur, quoique nous fassions, nous ne pourrions que supporter ce minuteur en train de sonner, encore et encore. Une douleur chronique, lorsque nous avons la chance d’en avoir qu’une est un peu comme ce minuteur, agaçant, horripilant, qui nous harcèle et qui veut nous empêcher de nous reposer.

Faire l’expérience de la douleur est difficile, faire l’expérience de la douleur chronique, c’est un marathon sans fin. Selon cette étude, une personne atteinte de douleurs chroniques présente, entre 20 et 50% des cas, les critères d’un épisode dépressif majeur contre 5% dans la population générale. Concernant le suicide, selon la revue médicale Suisse : « Les revues de la littérature mettent en évidence une prévalence d’idéation suicidaire d’environ 20 à 40 %, une prévalence-vie de 5 à 14 %, des tentatives de suicide et un risque de décès par suicide doublé chez les patients souffrant de douleur chronique par rapport aux groupes contrôles. »

Lorsque la douleur est continue, il est difficile de ne pas penser, au moins une fois, au suicide, quand la dépression n’est pas déjà présente. Il faut se représenter qu’une personne qui vit avec des douleurs chroniques n’a plus la même expérience de la vie que « la population générale ». Je dirais plus simplement les personnes vivant avec des douleurs chroniques en opposition aux personnes qui n’ont pas de douleurs chroniques. La vie peut prendre un autre sens, lorsque le seul sens qui nous submerge est la lutte contre la douleur, il est compliqué de se projeter sur d’autres projets de vie. Dépasser la douleur submergeante pour se dire que la vie peut encore apporter beaucoup de bonheur, des expériences riches et variées, ce n’est pas aisé.

Lorsque nous nous ratons avec un marteau et que nous tapons notre doigt, cela fait mal. Lorsque nous nous ratons avec un couteau de cuisine et que nous nous entaillons le doigt, cela fait mal aussi. Imaginez que cette expérience désagréable vous arrive toutes les 5 secondes, voir toutes les secondes. Comment verriez-vous la vie ? Les premières minutes, cela irait encore, qu’en serait-il au bout d’une journée, une semaine, une année, des années ?

Ne plus dire la douleur

Lorsque nous nous faisons mal, nous crions, nous pleurons, nous insultons, nous réagissons. Nous disons notre douleur. Dire sa douleur peut avoir plusieurs buts, quels que soient ces buts. Si la douleur est en continu, il n’y a plus d’effet de surprise, il n’y a pas besoin de dire sa douleur, car elle n’est pas nouvelle et aucune conséquence recherchée lorsque nous disons notre douleur ne peut être atteinte, car il n’y a rien de spécial à faire. Il n’y a donc plus de raison de dire sa douleur.

Si nous continuons de dire notre douleur, cela ne va que faire fuir notre entourage, l’ennuyer, l’agacer, car notre entourage ne peut rien faire. Alors le plus simple c’est de ne plus rien dire. Ne plus crier, ne plus pleurer, ne plus jurer, ne plus manifester sa douleur d’une manière ou d’autre chose.

Ne plus dire sa douleur peut aussi devenir un problème. En particulier face à des soignantes, même si elles sont formées à l’hétéro-évaluation de la douleur, il va être difficile d’évaluer quoique ce soit face à quelqu’une qui ne manifeste plus sa douleur.

Évidemment, si la douleur est telle qu’elle impacte notre mobilité, alors oui, cela se voit. Si la douleur est tellement forte qu’il n’est plus possible de rien faire sauf de s’allonger, de subir et d’attendre que ça passe, si ça passe, encore une fois cela se voit. Lorsque cela m’arrivait, au début j’avais tendance à me tortiller dans tous les sens, comme si cela pouvait faire passer la douleur, maintenant, je m’allonge et j’attends, car je sais bien que quoique je fasse, cela n’améliorera pas la situation. En plus de ces douleurs extrêmes, il existe une très large gamme de douleur qui peut faire de votre vie un enfer.

D’autant plus qu’une douleur n’a pas besoin d’être forte pour être invalidante, elle a besoin d’être continue. C’est la continuité de la douleur qui la rend difficile.

Depuis que j’ai des douleurs chroniques, les douleurs que je peux me faire à cause d’une brûlure en cuisine, par exemple, me paraissent anodines, car je sais qu’elles sont temporaires. Cette éphémérité me permet de considérer cette douleur moins douloureuse pour moi.

J’ai aussi remarqué que les douleurs non identifiées sont plus difficiles à supporter que les autres. Une fois qu’une douleur est installée et que je sais plus ou moins pourquoi elle est là, ou alors je sais qu’elle n’est pas grave pour ma vie, dans le sens où je ne vais pas mourir à cause d’une complication, alors cette douleur est plus facile à supporter, car je sais que je ne dois lutter que contre la douleur et que ce n’est pas un signal de mon corps pour quelque chose d’imprévue.

Les anti-douleurs

Heureusement, il existe des antidouleurs. Malheureusement, il existe des antidouleurs. Les antidouleurs ont quelque chose de magique. Ils permettent de ne plus avoir mal. C’est magnifique. Si seulement il n’y avait pas d’effets secondaires.

Il y a trois niveaux d’antidouleurs. Les antidouleurs de niveau 1 qui sont généralement le paracétamol, l’ibuprofène, l’aspirine, etc… Ce sont des antidouleurs qu’il est possible d’acheter en pharmacie sans prescription. Il est aussi possible de les avoir avec une prescription. Ces antidouleurs prennent en charge les douleurs faibles. Ensuite, ce sont les antidouleurs de niveau 2, les opiacés faibles, le tramadol, la codéine, la Lamaline. Ces antidouleurs prennent en charge les douleurs modérées à fortes. Enfin, il y a les antidouleurs de niveau 3, les opiacés forts, la fameuse morphine et associés.

Douleur et antalgique – Primum non nocere

Les antidouleurs, ce n’est pas comme dans Dr House, ce n’est pas cool. Les antidouleurs, c’est dangereux. Une mauvaise utilisation des antidouleurs peut entraîner beaucoup de problèmes. Devoir prendre des antidouleurs ne fait pas de soi une guerrière ou quelqu’une de vaillante. Cela fait juste de moi une utilisatrice d’antidouleurs. Ce n’est pas un mal non plus, cela ne fait pas de moi quelqu’une de faible. Lorsque nous prenons des antidouleurs, c’est parce que nous en avons besoin.

Pourtant, prendre des antidouleurs peut être mal vu. Combien de fois j’ai entendu qu’il est possible de faire sans, qu’il vaut mieux faire du sport, qu’il faut combattre le mal par le mal – nié ? -. Les antidouleurs, est-ce vraiment nécessaire ? Il faut souffrir pour être belle. Hein, quel rapport ? « Tu as vu un kiné ? « , « C’est parce que tu travailles assise à un bureau ». Vraiment ? Et enfin : « ah mais tu prends du tramadol, t’es une droguée alors ». Sur l’échelle de la connerie ça vaut bien un Castex sur dix – en référence à « Le meilleur moyen de soulager l’hôpital, c’est de ne pas tomber malade » -.

Non, ce n’est pas parce que je prends des opioïdes que je suis une droguée. Je prends des opioïdes parce que j’ai mal et que sans ces antidouleurs, je ne fonctionnerais pas. C’est vraiment une croyance populaire de bas niveau de croire qu’une malade chronique qui prend des opioïdes les prend par plaisir. Cela fait suffisamment longtemps que j’en prends pour connaître les effets secondaires de ces opioïdes. Lorsque nous sommes obligées de prendre des opioïdes sur le long cours, nous apprenons vite à jongler entre la douleur et les effets secondaires des antidouleurs. C’est d’ailleurs un compromis constant entre laisser la douleur faire mal ou devoir subit les effets secondaires des antidouleurs.

Vivre

Il m’a fallu quelques années avant de bien gérer mes douleurs, de réussir à reprendre pleinement des activités. C’est difficile, mais pas impossible. Il est indéniablement difficile d’apprendre à vivre avec des douleurs chroniques, mais c’est possible. Je n’ai pas de recette miracle, je n’ai pas de méthode magique, c’est juste avec le temps que j’ai réussi à reprendre mes activités, à me mettre à la pâtisserie par exemple. Évidemment, j’évite toutes les activités trop physiques, je fatigue vite, j’ai toujours besoin de m’asseoir. Je vais à mon rythme et je fais ce que j’ai envie de faire à mon propre rythme.

Avoir une maladie rare chronique et orpheline accompagnée de douleurs chroniques nous oblige à envisager la vie autrement, différemment de quand nous n’avions pas cette maladie. Oui, il faut faire le deuil de sa santé, oui, il faut se dire que certaines choses ne sont plus possibles, mais que vivre, c’est aussi savoir profiter de ce que nous pouvons faire, de ce que nous aimons faire. Ce n’est pas la maladie qui nous définit, ce ne sont pas non plus les douleurs chroniques, aussi paroxystiques soient-elles, qui nous donnent une identité. C’est bel et bien nous et seulement nous qui pouvons dire et définir qui nous sommes.

Malgré la maladie, malgré les douleurs, je veux me définir heureuse et faire ce que j’aime.