Spoonies

Bilan annuel

Dans le cadre de ma maladie rare, chronique et orpheline, tous les ans, j’ai le droit à un super séjour au soleil, sous les cocotiers, au bord de la mer avec cocktails à volonté, tout cela au frais de la sécurité sociale. Je plaisante, je fais juste mon bilan annuel à l’hôpital quand il y a des lits de disponibles. Autrement je fais mon bilan annuel à l’hôpital sans être à l’hôpital. C’est comme une hospitalisation en « remote » . Je fais toutes les analyses, sauf que je rentre chez moi entre chaque analyse, ou bien je squatte les urgences, parce que j’aime bien passer des radiographies et des scanners supplémentaires. Encore une fois, je plaisante, j’ai le poignet cassé depuis mon déménagement et j’ai eu la fainéantise de m’en occuper jusqu’ici. Puisque j’étais à l’hôpital et que je passais devant les urgences et que j’avais un peu temps, car en arrêt maladie, je me suis dit que c’était la bonne occasion de m’occuper de mon poignet, et j’avais vraiment le poignet cassé.

Le bilan annuel qu’est-ce que c’est ?

Je ne sais pas ce qu’il en est pour les autres maladies, mais pour celle que j’ai et dans mon cas, car encore une fois, tous les cas sont différents, j’ai le droit à un bilan annuel. Concrètement, ce bilan annuel, c’est une hospitalisation de deux jours, une nuit, pendant lesquels je passe une IRM, un TEP SCAN et une prise de sang et des analyses d’urine. L’équipe médicale qui me suit me « staff », c’est-à-dire que l’équipe se rassemble et réfléchit à mon cas, je ne sais pas trop à quoi elles réfléchissent, mais elles réfléchissent. Si jamais les examens révèlent que la maladie progresse, dans ce cas, la médecin spécialiste séniore qui me suit peut adapter mon traitement ou faire un traitement « d’urgence » pour faire reculer la maladie, dans le jargon médical, cela s’appelle un « bolus » . Si nécessaire, l’hospitalisation est prolongée pour ces traitements supplémentaires ou des analyses supplémentaires comme une ponction lombaire si les résultats des analyses précédentes sont « mitigés » .

Contrairement aux préjugés, un bilan annuel, une hospitalisation, ce n’est pas de tout repos. Je ne reste pas dans mon lit à pouvoir geeker sur ma tablette ou bien à regarder des séries TV en continu avec une perfusion dans le bras. C’est en réalité un peu une course entre-mêlée de longues heures d’attente dans des salles d’attente plus ou moins confortables, plus ou moins chauffées, où, généralement, il faut être à jeun et comme j’ai un TEP-SCAN, je dois suivre un régime à basse d’œufs et d’huile. Pour caricaturer, je pourrais résumer un bilan annuel par : j’ai froid, j’ai faim, j’ai mal à cause de ma maladie et j’ai mal, car je suis mal installée dans les salles d’attente et en plus, je m’ennuie. Il faut aussi savoir que je passe des examens dont je n’aurai les résultats que 2 à 4 mois après. Et oui, la restitution des résultats d’examens médicaux étant un acte médical, c’est à la médecin prescripteuse de restituer les résultats en prenant en compte l’impact que ça peut avoir sur les pauvres petites patientes fragiles et psychologiquement instables que nous sommes. Surtout que maintenant, c’est moi qui dit à la radiologue où regarder pour trouver les intrus dans l’imagerie médicale, tout en rappelant qu’il faut m’injecter le produit pour l’IRM, sinon elle ne verra rien. Vive la paternalisation dans le monde médical.

Pour celles et ceux qui n’ont pas encore le privilège d’avoir passé des examens à l’hôpital, généralement, nous arrivons un peu en avance, pour ne pas faire retarder le flot des consultations, première erreur ! Nous nous présentons à l’accueil pour dire que nous avons un rendez-vous pour passer tel examen. Après un peu d’administratif, nous sommes redirigées vers la salle d’attente. C’est à partir de maintenant que cela commence à être cocasse. Admettons que c’est pour un PET SCAN. Dans ce cas, pour le déjeuner et le diner de la veille, il faut suivre un régime sans sucre, sans glucide, mais protéiné. Habituellement, il nous est demandé de manger des omelettes avec un demi verre d’huile. Non, ce n’est pas une faute de frappe. Je ne fais pas des fautes de frappe d’un mot entier ! J’ai bien écrit, un demi verre d’huile. Je n’arrive pas à le boire. Je ne bois pas de l’huile de tournesol comme ça. Nous ne pouvons rien boire d’autre que de l’eau ou des infusions ou cafés sans sucre. Déjà que le café, c’est dégueulasse, mais le café sans sucre, c’est niet ! Le jour J, il faut être à jeun. Retournons dans notre salle d’attente, si vous avez tout suivi, je suis à jeun. Pour un PET SCAN, il y a généralement peu d’attente, entre une à deux heures par rapport à l’heure initial du rendez-vous. Pour d’autres examens, j’ai déjà attendu jusqu’à neuf heures après l’heure de mon rendez-vous. Quand je suis dans une salle d’attente, les premières fois, je n’avais pas mes médicaments avec moi, je n’avais pas de snack, de toute façon, je devais être à jeun. J’avais froid, car j’étais en tenu d’hôpital : les blouses en papier jetables. Comme j’ai des douleurs partout, les sièges des salles d’attente me paraissent particulièrement inconfortables. Normalement, vous avez bien toute la scène en tête. Vous pouvez comprendre pourquoi je dis que, j’ai faim, j’ai froid, j’ai mal et je m’ennuie. Ensuite, une soignante vient me chercher et doit me poser une perfusion en plus de me poser 50 questions auxquelles j’ai déjà répondu. Cela dit, c’est le protocole. Comme mes veines sont difficiles à perfuser et que dans les CHU, il y a le U pour « universitaire », je sers de terrain d’entrainement pour les perfusions. Trop souvent, je me retrouve avec les deux bras piqués, parfois plusieurs fois par bras, et avec une veine explosée. Saviez-vous que même avec deux cachets de tramadol, je sens très bien la douleur d’une veine explosée ? En plus cela fait « splouitte splouitte » quand j’appuie dessus. Une fois que la soignante étudiante passe la main à une soignante expérimentée, j’ai enfin ma perfusion. Il va sans dire que mes bras ressemblent un peu à un champ de bataille. Saviez-vous qu’une veine explosée fait un hématome qui fait en taille, la moitié du bras ? Une fois perfusée, je dois attendre encore un peu pour que quelqu’une m’injecte le produit radioactif. Ensuite il faut rester allongée pendant heure entière, sans bouger, pour que le produit radioactif se disperse bien dans le corps et se fixe sur les cellules ciblées. Ensuite, il faut aller aux toilettes, car nous avons « bu » toute la perfusion. Cela sert aussi à éliminer le surplus de produit radioactif. Enfin, je passe dans le scanner pour le TEP SCAN. Cela dure une vingtaine de minute encore et je peux me rhabiller et partir. Je ne sais pas pourquoi, les services de médecines nucléaires enferment leurs patientes. Une fois dedans, il faut qu’une soignante nous ouvre la porte avec un code pour que nous puissions sortir. Elles ont peur de quoi ? Que je m’enfuis en pyjama en papier avec une perfusion mal posée ?

Si vous additionnez toutes les heures passées, vous allez comprendre pourquoi, passer des examens à l’hôpital, c’est nul. C’est indéniablement très utile, mais c’est une expérience peu engageante.

Pour la petite anecdote, une fois, les soignantes du service de médecine nucléaire, ne voulaient pas me laisser partir et la médecin m’a convoquée en consultation juste après le PET SCAN. D’habitude, elles nous mettent dehors sans nous parler, mais cette fois-ci, il y avait quelque chose qui n’allait pas. En consultation, la médecin me demande si je me drogue. Je la regarde avec de grands yeux très étonnés et je lui réponds que non, je ne me drogue pas, je ne fume pas, je ne bois pas. Elle insiste et me dit qu’elle voit « tout » avec un PET SCAN. Je réitère ma réponse, ne comprenant pas la situation et ne sachant pas quoi lui répondre d’autre. Elle me dit qu’au PET SCAN, il y a les mêmes traces que laisserait une injection pour se droguer. Perplexe, je lui montre mes bras lui disant qu’à part la perfusion, il n’y a pas de signe de shoot. Elle examine minutieusement mes bras et me répond : « ah oui ». Nous discutons encore un peu, elle essaie de me faire dire que je me drogue, mais je tiens bon, puisque JE NE ME DROGUE PAS, PUTAIN ! En plus, avec la tonne de sang que l’hôpital m’a déjà pris, elles peuvent faire toutes les analyses qu’elles veulent et ainsi, savoir si je me drogue ou pas. Quelques mois plus tard, quand j’ai enfin accès au compte rendu du PET SCAN, je vois dans le compte rendu qu’il y a une « suspicion de drogue », à « confronter à la clinique » de la patiente. MAIS PUTAIN !

Digression à part. Forte de mes expériences passées, maintenant, j’apporte avec moi mes médicaments, mes anti-douleurs et de quoi m’occuper. Je prends aussi mes vêtements chauds. En revanche, pour le confort, je ne peux rien faire. Une fois, en salle d’attente, je me suis allongée par terre, car je ne tenais plus, la position était trop inconfortable. J’avais trop mal partout, je pleurais de douleur dans la salle d’attente, j’avais besoin de m’allonger. J’ai demandé des anti-douleurs, et évidemment, je ne pouvais pas en avoir. Ce qui est fascinant, c’est que cela ne choque personne. J’étais allongée dans un coin de la pièce en train de pleurer et tout le monde trouvait cela normal, ou s’en fichait, ou faisait semblant de ne pas voir. Une infirmière a quand même fini par avoir pitié de moi et m’a proposé un brancard et une couverture, j’ai immédiatement accepté cette proposition. Peut-être que la prochaine fois, je prendrai mon duvet et un oreiller.

Quand il faut enchainer, deux ou trois de ces examens en deux jours, en étant à jeun ou en étant à jeun forcé, car étant dans la salle d’attente et non dans la chambre d’hôpital, je rate les horaires des repas, donc je ne mange pas, j’ai faim. Déjà que de base, je suis malade chronique, il ne faut pas l’oublier, je suis donc loin d’être en pleine forme et il m’est vraiment difficile de supporter ces conditions, de plus, je suis fatiguée, facilement irritable et peu endurante à l’inconfort. Je peux vous dire que ces deux jours de bilan sont très loin de l’image de la malade qui se repose dans un lit d’hôpital. Je dirai que c’est plutôt la malade qui est en train de finir de crever dans les salles d’attente.

Une autre chose qui me frappe, c’est la différence d’âge. Comme ces bilans sont faits en semaine, j’ai des arrêts maladie, mais surtout je vois les patientes habituelles. Ce que je constate, c’est la différence d’âge entre moi et la plupart des autres patientes, bien plus âgées que moi. C’est psychologiquement marquant de se dire que mon quotidien, c’est le quotidien de personnes qui ont 30 ou 50 ans de plus que moi.

J’ai parlé d’hospitalisation en « remote » . Vous n’êtes pas sans savoir que nos politiques publiques ont réduit le nombre de lits et le personnel soignant depuis des décennies et qu’aujourd’hui, l’hôpital, l’éducation, et plus généralement, le service public est exsangue. Je ne sais pas pourquoi nos politiques veulent absolument « socialiser les pertes et privatiser les profits », et dépècent la santé et les autres services publics au profit de leurs amis milliardaires – ne m’en voulez pas de laisser au masculin pour cette fois ci -. Je pourrais parler du scandale des autoroutes par exemple.

Pour revenir au sujet, les hospitalisations en « remote », cela arrive. Généralement, je l’apprends le matin même de l’hospitalisation ou carrément au moment où j’arrive dans le service médical et que la secrétaire à l’accueil me dit qu’il n’y a plus de lit de libre, donc, c’est annulé. Je ferai les analyses en externe. Je reste chez moi et je vais dans les différents services de l’hôpital pour passer mes différents examens. Dans mon cas, ce n’est pas très gênant, car j’habite à quinze minutes de l’hôpital à pied. Il m’est assez facile de faire l’aller-retour, car je peux aussi facilement me déplacer. Pour les patientes qui viennent de plus loin, parce que le service qui me suit est aussi un centre de référence pour d’autres maladies rares et par conséquent suivent des patientes sur toute la France métropolitaine et DOM TOM, je n’imagine pas la tête de la guadeloupéenne qui a pris l’avion et qui une fois arrivée au secrétariat du service est informée que son hospitalisation est annulée, car il n’y a plus de lit disponible. Je ne sais pas si c’est déjà arrivé, je ne fais qu’imaginer.

Lors que nous sommes hospitalisées pour un bilan annuel, généralement, nous ne sommes pas dans un état critique, enfin, pas trop critique, par conséquent, nous ne sommes pas prioritaires pour être hospitalisées. Ce qui explique que, parfois, ces hospitalisations se font annuler. Évidemment, il n’y a plus assez de lits dans les hôpitaux, il n’y a plus assez de personnels, il n’y a plus assez de budget, les étudiantes en médecines font des horaires démentiels, ce qui met à risques les patientes et les soignantes. L’hôpital ne doit pas être rentable, ce n’est pas une entreprise, c’est un service public. Il ne devrait pas y avoir de logique de profit, de T2A ou encore de mutuels, qui rendent le système de soin français très proche du système de soin des USA. Ce n’est pas une comparaison flatteuse. Vous pourrez me répondre qu’il y a les « brutes en blancs » – encore une fois, ne m’en voulez pas de laisser au masculin ici -, et que donc il faut mettre de l’ordre dans l’hôpital. En effet, les brutes en blancs existent bien. Je me souviens d’une fois, après une chute à moto, les pompiers m’emmènent d’urgence à l’hôpital le plus proche – je ne me souviens même plus où c’était – et une fois allongée sur une table pour passer à la radiographie, un interne retire le drap qui est sur moi pour bien me mater, ce pervers, car j’étais en petite culotte en dessous. Une infirmière arrive et replace le drap. Je la remercie. Je ne pouvais pas bouger, car après une chute à moto à une vitesse un peu trop élevée, j’avais interdiction de bouger tant que la radiographie n’était pas faite. Je pourrais raconter d’autres fois où cela ne s’est pas toujours bien passé avec des médecins, mais ce n’est pas le sujet de cet article.

Vous pouvez vous dire qu’être soignée à l’hôpital, c’est terrible, il y a de la souffrance, de la maltraitance, un manque de moyen criant, des soignantes épuisées, des équipements vétustes. J’ai aussi envie de dire qu’à l’hôpital, il y a des gens bien, des soignantes passionnées, de l’humain. Je viens de vous raconter en un article presque toutes mes mésaventures à l’hôpital, mais je ne vous ai pas raconté quand cela se passe bien, qui est la majorité du temps, je ne vous ai pas raconté la fois où cette étudiante infirmière m’a énormément aidée malgré une bronchoscopie difficile. Pour celles qui ont passé une bronchoscopie avec LBA, vous savez que ce n’est pas une partie de plaisir, même quand tout se passe normalement. Je ne vous ai pas raconté la fois où les pompiers m’ont ramassée suite à une chute en trottinette et ont été très respectueux en prenant en charge. Je ne vous ai pas raconté toutes les fois aux urgences où le personnel soignant a été formidable. Parfois, dans le tas, il a un sale con et malheureusement, nous nous souvenons que de lui en oubliant toutes les autres qui font un travail fantastique. L’hôpital, ce sont des hommes et des femmes qui font tout ce qu’elles peuvent malgré un abandon par nos politiques qui ont pour mission de détruire un bien que la terre entière nous envie : notre système de santé. À l’hôpital, nous attendons beaucoup, ce ne sont pas les soignantes débordées qu’il faut pointer du doigt, mais les gouvernements successifs qui les uns après les autres s’acharnent à détruire nos services publics.

Je n’hésite pas à critiquer les médecins, mais face aux patientes, je les défends. Je dois être masochiste, Quelle que soit la situation je fais l’avocate du diable. C’est mon esprit de contradiction, afin de ne jamais être d’accord avec qui que ce soit.

Je crois que je me suis un peu égarée, moi qui à la base, ne voulais parler que du bilan annuel, j’ai quelque peu dérivé. Encore une fois, un article un peu fouillis, où je jette à l’écrit ce qui me passe par la tête.