Douleurs chroniques et addiction
Le Skenan est la marque sous laquelle est prescrite la morphine. J’en avais eu quand je m’étais cassé le bras et j’avais pris la boite en photo en me disant que cela pourrait me servir pour un article sur le sujet de la dépendance physique ou « psychologique » à un opioïde.
S’il y a bien quelque chose qui m’énerve, c’est de penser que je suis « addict » à mes antidouleurs, mais, car il y a un « mais », je dois faire très attention pour ne pas le devenir. Mon intérêt n’est clairement pas de devenir addict au tramadol, je ne ferai que demander à augmenter les doses prescrites jusqu’à avoir un accident et je finirai en désintoxication avec une prise en charge douteuse de mes douleurs chroniques. Il y a toujours un certain côté religieux de punir celle qui a péché et je fais parfaitement confiance aux médecins pour appliquer cela. Puis la personne très rationnelle que je suis ne voit aucun intérêt dans ce scénario. Cela dit, les gens ne peuvent pas savoir que c’est un phénomène un peu extrême chez moi. Tout comme je ne suis pas dépendante du contexte.
Les dépendances
Pour expliquer grossièrement les risques avec une prise intensive d’opioïdes, c’est ce que j’appelle déclencher la dépendance physique puis psychologique. Sans oublier qu’il faut prendre en compte la dépendance aux antidouleurs à cause des douleurs chroniques. Il ne faudrait pas les oublier, après tout, c’est leur faute si je dois prendre autant de médicaments.
La dépendance physique, c’est lorsque le corps devient dépendant aux opioïdes et que cesser d’en prendre entraine des symptômes de sevrage. Pour avoir été plusieurs fois dans ce cas, je peux vous dire que c’est difficile. Difficile à vivre, car les symptômes de sevrage sont assez terribles et c’est encore plus difficile de devoir se sevrer parce que cela veut dire interrompre la prise d’antidouleurs. Le problème, c’est que les douleurs chroniques sont toujours là. Gérer tout cela à la fois n’est pas simple. Le twist, c’est que si j’ai une période où les douleurs sont trop fortes, je dois alors prendre beaucoup d’antidouleurs pour pouvoir fonctionner, ce qui risque de déclencher la dépendance physique. Je ne le choisis pas. Vous vous en seriez douté.
Le risque lorsque la dépendance physique est installée, c’est de déclencher ce que j’appelle la dépendance psychologique. Soyons honnête, le tramadol est une drogue qui peut être dangereuse si mal utilisée. Parfois, j’ai l’impression que les médecins oublient que j’en suis consciente. Après tout, j’en suis une utilisatrice chevronnée et qui s’est déjà sevrée plusieurs fois de la dépendance physique. J’en parle ici et ici. Ce que j’appelle la dépendance psychologique, c’est lorsque la personne concernée va activement chercher à obtenir des opioïdes dans le but de calmer ses symptômes de sevrages, mais aussi pour atteindre un certain état de plaisir. Aller, disons pour « planer ». C’est cela être « addict » pour moi, mais peut-être que je me trompe dans les définitions.
Là où vous allez comprendre que la différence entre les deux dépendances est mince, c’est lorsque je vous dis qu’une fois que la personne a compris que ses symptômes de sevrages étaient liés à un manque d’opioïdes, il parait naturel que cette personne cherche à obtenir des opioïdes pour rétablir une certaine forme d’équilibre de son bien être. Le passage de l’un à l’autre parait presque inévitable.
Avec toute cette surenchère sur la « crise des opioïdes » outre Atlantique, certaines ont eu peur que cela arrive aussi en France. Alors qu’il suffit de lire l’état des lieux réalisé par l’ANSM pour comprendre qu’il n’y a pas de crise des opioïdes en France et que vues toutes les mesures prises en France, je ne vois pas comment cela pourrait arriver. Être malade chronique avec des douleurs chroniques en France, c’est assez infantilisant. Chaque seconde, vous êtes suspectée d’être « accro » et en même temps, lorsque vous atterrissez aux urgences pour douleurs paralysantes, les urgentistes répondent que « il faut prendre vos antidouleurs, madame ». Ah bah tiens, heureusement qu’elle me dit cela, j’avais presque oublié de prendre mes antidouleurs quand j’ai mal. Ah oui, j’avais oublié comme c’est amusant de venir aux urgences. Vous faites quoi dimanche soir ? Allez, on se fait un petit tour aux urgences saluer les médecins qui s’ennuient ? Bref.
Pour éviter de tomber dans la dépendance psychologique, je fais toujours très attention à me sevrer le plus tôt possible si jamais je me rends compte que j’ai des symptômes de sevrage.
Ce qui est remarquable, c’est que j’ai mis du temps à comprendre que les symptômes de sevrages étaient des symptômes de sevrage. Comme je l’ai déjà dit, j’apprends la maladie, j’apprends à être malade, j’apprends à identifier mes symptômes. Ce n’est pas évident de comprendre ou de savoir pourquoi tel ou tel symptôme est dû à un manque d’opioïde. Comme les médecins aiment nous le rappeler, nous ne sommes pas des médecins.
Je ne suis pas vraiment quelqu’une sujette aux addictions, je n’ai jamais fumé, je n’aime pas l’alcool et je n’ai jamais testé une drogue ou n’importe quelle autre, que nous pouvons facilement croiser, disons, en soirée. En soi, les antidouleurs sont les seules drogues que j’ai, au grand jamais, consommées.
Un autre problème, en plus des effets secondaires, est que la prise, intensive et prolongée, de tramadol habitue le corps au médicament et le médicament devient moins efficace, ce qui pousse la patiente douloureuse chronique à prendre plus d’antidouleurs. Sans faire attention, cela peut aboutir à la dépendance physique puis psychologique.
En réalité, le mieux, c’est de ne pas avoir de douleurs chroniques. Bon, ça, vous vous en seriez douté. Comme je l’ai déjà dit plusieurs fois, c’est quelque chose que je ne choisis pas. Je vous assure que lors d’une journée de crise ou d’une « poussée » des douleurs, par exemple, les douleurs de la névralgie trigéminale, je peux vous assurez que vous êtes prête à avaler n’importe quel cachet qui calme la douleur au visage. Il n’y a qu’une seule opération chirurgicale que j’ai trouvée plus douloureuse et où les médecins m’ont rendormie aussitôt après mon réveil à coup de fentanyl. Autrement, la névralgie trigéminale, c’est terrible. Je trouve que les mots n’ont pas assez de force pour décrire cette douleur. C’est une douleur qui a plus que dépassé le seuil. Pourtant, si les médecins me demandent d’évaluer cette douleur sur 10, je leur répondrai 8, car pour moi, j’ai des souvenirs de douleurs plus fortes pour me faire dire 9 ou 10. Même si c’est une douleur qui a dépassé le seuil,
Le sevrage
Comme je l’ai déjà plusieurs fois dit, le sevrage, c’est difficile, mais pas si terrible, mais cela doit être contextuel aussi. Probablement, car j’ai toujours fait en sorte que la dépendance physique ne s’installe pas trop longtemps. C’est difficile pendant une semaine et ensuite, c’est fini. Dit ainsi, cela parait même enfantin.
La première étape du sevrage, c’est d’identifier la dépendance. Maintenant que je connais les symptômes, c’est assez facile de la reconnaitre. Le réveil est difficile. Il y a un mal-être généralisé qui diminue considérablement dès que je me lève. Je ne suis pas au top de ma forme, mais je peux fonctionner. Je n’ai aucune idée de pourquoi cela agit de cette manière. Malgré tout, il y a un certain malaise généralisé. C’est assez simple de m’en rendre compte, je n’arrive à rien à faire, tout m’irrite, car il y a un truc qui ne va pas et ce truc n’est pas précis, mes douleurs aux bras ont à peu près le même effet. Dans ce cas, il faut prendre du tramadol et espacer de plus en plus les prises. En une semaine environ, il est possible de se débarrasser de la dépendance physique. Je dis cela en quelques phrases, mais pendant la semaine, je lutte. Comme je l’ai déjà dit plusieurs fois, il faut aussi que les douleurs chroniques me laissent faire cela. Si j’ai trop mal, je dois prendre des antalgiques en fonction de mes douleurs, sinon, je ne fonctionne pas non plus. Les médecins disent que ce n’est pas toujours simple de faire la différence entre les douleurs et le symptôme de sevrage, pour certaines douleurs, je suis assez en accord avec cela, en revanche pour la majorité des douleurs que j’ai, je ne suis pas d’accord, je pense faire assez facilement la différence, d’autant plus lorsque la douleur est localisée.
Concernant la dépendance psychologique, je ne pourrais pas vous dire, parce que je n’ai jamais eu à le faire. Je prends du tramadol quand j’ai mal ou pour gérer un sevrage. Je n’ai jamais été « high » malgré tout le tramadol que je prends.
Je vous déconseille de prendre du tramadol LP, généralement, c’est en dosage de 100 mg, 150 mg ou 200 mg, pour la bonne raison que le tramadol LP se diffusent en 12 heures à la place de 4 à 6 heures pour le non LP, parfois, je dis le tramadol rapide pour le tramadol non LP. Il n’est pas plus rapide à agir, mais plus rapide à cesser d’agir. Le problème avec le tramadol LP c’est que le corps a sans cesse du tramadol actif en lui et c’est le meilleur moyen de déclencher la dépendance physique. De plus, c’est quand j’avais du tramadol LP que j’avais le plus d’effets secondaires. Maintenant que je prends que du non LP, je ne peux pas me plaindre d’effets secondaires significatifs en dehors de la dépendance physique lorsqu’elle survient.
Parfois, des médecins me proposent de la morphine, je la refuse, car le gain en termes de prise en charge de la douleur n’est pas extraordinaire et que pour le coup, la morphine a une réputation bien pire que celle du tramadol et que je vais passer pour une « addict » auprès des gens. Déjà qu’avec le tramadol, c’est compliqué, je préfère ne pas me risquer avec la morphine.
Les gens pensent que prendre de la morphine, c’est pire. Outre le fait que la morphine et le tramadol ne sont pas compatibles, donc, ne les prenez pas en même temps, leurs effets s’annulent, la morphine est environ 5 fois plus efficaces que le tramadol, sauf qu’elle est 5 fois moins dosée. La vraie différence, c’est la vitesse d’action. Alors que le tramadol nécessite entre 40 à 60 minutes pour agir, la morphine agit en 20 minutes approximativement. Il faut savoir que le tramadol se synthétise en morphine, au final le résultat est le même, avec la morphine, nous gagnons le temps de synthèse de l’un vers l’autre. Ce n’est qu’une histoire de quantité. Je parle toujours de tramadol et pas de codéine, pour la bonne raison que les médecins me prescrivent du tramadol et pas de la codéine et surtout parce que le tramadol a été inventé pour remplacer la codéine, car il aurait moins d’effets de dépendance. Je n’ai pas approfondi les recherches sur ce sujet, je ne pourrais pas vous en dire plus.
Connaitre les molécules, leur temps de demi vie, leurs interactions, tout cela est important pour pouvoir mieux gérer sa prise de médicament. Il faut savoir que la morphine, en plus des effets secondaires connus, a le risque de provoquer une détresse respiratoire. Si vous arrêtez de respirer, je vous assure que ce n’est pas bon pour vous, il faut donc éviter la détresse respiratoire. C’est la raison pour laquelle, même si j’ai très mal, je ne prends jamais deux tramadols à la fois, je décale les prises de 1 heure par exemple. Je vais douiller, mais je vais continuer de respirer. Ce qui n’est pas négligeable.
Vous vous dites que je suis en train de vous parler de tout, sauf de sevrage. Oui et non, car je vous explique comment je fais pour ne pas tomber dans la dépendance physique, pour prévenir le sevrage. Le sevrage, je vous l’ai dit, en une semaine, en souffrant beaucoup, ça passe. C’est plus facile à écrire qu’à vivre, mais en soit, je ne peux pas tellement vous en dire plus. Surtout que je n’ai pas accès aux médicaments qui permettent de lutter contre le sevrage tel que la méthadone ou le subutex. Pour information, en cas d’overdose, il faut prendre de la naloxone, enfin, les médecins vous en administrent.
Parfois, j’aimerais bien demander à la médecin qui me suit de la méthadone, cela me permettrait de mieux gérer mes douleurs. Après une crise de douleurs qui peut durer plusieurs jours, quelques fois cela a duré plusieurs semaines, j’avais déclenché la dépendance physique. J’ai eu une accalmie au niveau des douleurs ensuite et j’ai pu me sevrer. Si mes douleurs sont suffisamment faibles, je n’ai pas besoin de prendre de tramadol et dans ce cas précis, je me sers du tramadol pour me sevrer, ce qui est un peu dommage. Cela dit, le sevrage a été difficile, comme à chaque fois. Je n’ai testé ni ma méthode ni le subutex, mais puisque c’est fait pour ce but, c’est que ce doit être plus « facile » que le sevrage à la dure que je fais moi-même. Mais bon, déjà qu’elle n’aime pas trop que je prenne du tramadol et qu’elle trouve que j’en prends trop. En soi, moi aussi, je trouve que j’en prends trop, mais cela reste l’antalgique le plus efficace qui est à ma disposition et le seul qui me permette de fonctionner presque normalement la majorité du temps. J’imagine sa tête si jamais je lui parle de méthadone. Si je ne me fais pas interner dans la minute qui suit, j’aurai de la chance. Enfin, je plaisante. Enfin, j’espère que c’est une plaisanterie.
Vous avez une bonne partie de mon expérience sur le sujet maintenant. J’ai la chance de ne pas être sujette aux addictions, ce n’est pas le cas de tout le monde. Il est assez facile de trouver sur l’Internet mondial pleins d’exemples plus dramatiques, voire funèbres. Faites attention à vous si vous devez prendre des opioïdes.
Édition : Je rajoute ce passage, car j’ai oublié de parler du néfopam – son nom commercial est l’Acupan -. Déjà parlons du format, la petite ampoule à casser avec un goût affreux, qui perd en efficacité parce qu’il, faut l’avaler à la place de se l’injecter, ce n’est pas franchement une bonne idée. Tips : buvez-le avec de l’eau gazeuse ou un soda. Cela dit, lorsque la douleur est forte, peu importe son goût. Maintenant que j’ai bien digressé, ce que je veux surtout dire c’est que c’est moins efficace que le tramadol pour la prise en charge des douleurs. Parfois, je remplace le tramadol par le néfopam pour gérer mes stocks de tramadol, car je consommerai plus de tramadol qu’il ne m’en est prescrit. Je sens immédiatement la différence, la prise en charge de la douleur est nettement moins bonne, j’ai bien plus mal que lorsque je pends du tramadol. Ce qui fait que je dois en prendre plus. Et en terme d’effets secondaires, le néfopam n’est pas en reste non plus.
Édition : Je pense l’avoir déjà dit dans un des articles de mon blog, mais les gens ne réagissent pas de la même manière aux opioïdes, certaines sont hypersensibles, d’autres le sont moins. Les opioïdes ne fonctionnent pas pour tout le monde. Une personne hypersensible va voir les effets se décupler alors qu’à l’inverse les opioïdes ne vont avoir que très peu d’effets sur une personne qui y est « insensible ». Il est assez facile de trouver sur l’Internet mondial des chiffres sur ce sujet.