Spoonies

Un certain seuil

Cela doit bien faire deux ou trois semaines que mes douleurs sont plus fortes que d’habitude. J’ai tendance à expliquer à autrui mes douleurs en leur signifiant le nombre d’antidouleurs que je dois prendre par jour. Dans la mesure où la prise de tramadol ou d’Acupan ou d’un antidouleur de niveau 2 peut-être une expérience commune, je me dis que les gens sont capables de s’imaginer ce que cela fait que d’avoir à prendre six, sept ou huit antidouleurs de niveau 2 en une seule et même journée. Puis, il y a des gens qui font de la surenchère : « moi, j’en prends 10 par jours depuis 10 ans ». Sont-elles seulement capables de se rendre compte que ce propos n’est pas crédible ? Personne ne peut avoir un telle prescription d’antidouleurs de niveau 2 ou au-delà pour une telle durée sans une prise en charge très spécialisée et très surveillée. Je n’ai jamais vu une patiente douloureuse chronique se vanter de prendre des opioïdes, surtout que nous sommes vite associées à des « toxico ». Il ne faut pas dire à une malade chronique dont le principal symptôme est la douleur et qui prend des antidouleurs de niveau 2 tous les jours, et qui par conséquent connait les doses maximales de ces médicaments, aussi bien à la prise qu’en prescription, qu’il est possible de faire n’importe quoi. À moins d’acheter illégalement ces médicaments, ce qui, en France, est assez compliqué. De plus, c’est ridicule de jouer à la surenchère. Je préfèrerai tellement pouvoir dire que je n’en prends plus, que je n’en ai plus besoin plutôt que d’essayer d’expliquer aux autres mon niveau de douleurs en me servant d’une échelle, d’un référentiel, qui, je l’espère, peut vous signifier quelque chose de concret, pour vous.

Ces dernières semaines, c’est plus compliqué pour moi, j’ai mal, et je veux pleinement fonctionner. Je veux vivre ma vie et ne pas me laisser abattre par ces douleurs. Ces douleurs, parfois, sont tellement fortes, que malgré mon expérience de la douleur, je n’arrive plus à me concentrer. Je m’énerve, je perds patience, je suis irascible, je ne supporte plus rien, je ne réfléchis plus. Comme j’ai déjà pu l’écrire sur mon blog, il y a un certain seuil jusqu’auquel il est possible d’intellectualiser sa douleur, de lutter contre elle et de pousser au-delà. Une fois ce seuil franchi, l’instinct prend le dessus, le rationnel disparait laissant place seulement à la détresse. Il ne reste plus qu’à chercher n’importe quel moyen pour soulager la douleur. Ce seuil est bien au-delà du juron cathartique que nous pouvons proférer lorsque nous nous mettons un coup de marteau sur les doigts, par exemple.

J’ai passé mon IRM annuelle qui surveille mon petit nodule dans la colonne qui s’amuse à faire du pingpong sur mes nerfs. Pour le coup, je peux dire qu’il y a un truc qui me tape sur les nerfs, au premier degré. Ce petit nodule, qui avait l’habitude d’être stable, a légèrement grossi. Comme il était petit, il est toujours petit, mais si je dois dire en pourcentage l’augmentation de ce fameux nodule, il a grossi de 33%. Cela me parait énorme dit ainsi, mais bon, il reste petit. Cela va sûrement être mis sur le dos de l’erreur de mesure possible des machines d’imageries. Sur le site de l’APHP, il est possible de consulter ses examens d’imageries, il y a même un logiciel qui permet de mesurer les distances sur les images fournies. J’ai comparé avec l’IRM de l’année dernière, et, effectivement, visuellement, il fait bien plus gros, et en utilisant l’outil susmentionné, le nodule est bien plus gros. Est-ce que cela veut dire quelque chose, je n’en sais rien. Est-ce lié à mon augmentation de douleur dernièrement, oui, peut-être, non, comment savoir ? J’ai mal à bien plus d’endroits que ce nodule pourrait affecter.

Je ne sais pas trop comment vous décrire mes douleurs, j’ai mal. Voilà. C’est quelque chose de tellement subjectif. Il est vrai que j’ai bien plus mal aux jambes récemment. J’utilise bien plus le TENS que d’habitude. Chose très frustrante, alors que d’habitude, je trouve le TENS plutôt efficace, ces derniers jours, je le trouve insuffisant. Malgré le TENS, j’ai toujours mal aux jambes. J’avais l’habitude que le TENS soit suffisant pour prendre en charge les douleurs aux jambes.

Parfois, j’ai l’impression qu’un requin a croqué une partie de mon corps, laissant toute une zone extrêmement douloureuse. Il y a une douleur, sourde et aiguë, qui part de mon épaule jusqu’à mon bassin, sur la moitié de mon corps, qui me paralyse presque. Bien que très forte, c’est une douleur que j’arrive encore à intellectualiser. C’est une douleur en deçà du seuil. Malgré cela, je peux vous dire que je donnerai cher pour que cette douleur disparaisse.

Les douleurs vraiment au-dessus du seuil, ce sont les douleurs au visage et certaines douleurs aux bras. Ces douleurs-là sont tellement terribles qu’il est encore heureux qu’elles soient moins fréquentes que les autres et qu’il existe les antidouleurs. Lorsque ces douleurs sont paroxystiques, c’est juste l’enfer, réellement, heureusement que ce ne sont pas les douleurs les plus présentes. Je suis en train de dire qu’il n’y a que les douleurs au visage ou aux bras qui sont au-dessus du seuil, je me trompe, parfois les douleurs à l’hypocondre sont très fortes aussi. Cela ressemble un peu à une pneumonie, vu que j’en ai eu une, je peux assez facilement comparer. Une pneumonie, c’est douloureux, en particulier lors de la toux, c’est assez similaire aux douleurs fortes que je peux avoir, mais cela reste inférieur aux douleurs qui sont au-dessus du seuil. Je dirais que la pneumonie est en dessous du seuil en termes de douleur. En réalité, la pneumonie, tant que je ne tousse pas, ce n’est pas vraiment très douloureux, c’est uniquement lors de la toux que cela fait très mal, comme si quelque chose me déchirait à l’intérieur de mes poumons.

Ce seuil n’est pas quelque chose de figée, d’immuable, cela varie avec le temps, avec mes expériences, avec ma fatigue, mon humeur, et aussi, avec ma prise d’antalgiques. Si j’ai trop mal, je ne peux pas travailler, j’augmente ma prise d’antidouleurs. Si je prends trop d’antidouleurs sur une période trop longue, je risque de déclencher la dépendance physique. Je vais alors devoir me sevrer. Le plus vite je le fais, le plus facile c’est. Sauf que les douleurs ne me permettent pas de gérer comme j’entends mon sevrage. Je crois que j’ai déjà écrit un article qui traite un peu de ce sujet. La durée de la douleur fait aussi varier ce seuil. Plus une douleur forte dure, plus elle amenuise ma résistance et plus la douleur risque de dépasser le seuil, non pas parce que la douleur augmente, mais parce qu’elle dure, ainsi, elle entame ma résistance, faisant, ainsi, baisser mon seuil.

J’ai remarqué qu’il m’arrivait de plus en plus d’avoir mal au bureau, au travail et de ne pas pouvoir le cacher. Mes collègues peuvent voir la douleur sur mon visage, sur le fait que je suis bloquée le temps que la douleur se dissipe. Parfois la douleur se manifeste de façon fulgurante et éphémère, me faisant réagir comme si j’avais des spasmes.

Il y a d’autres moments où je me sens très inconfortable sans vraiment trop y prêter attention, et après un certain temps écoulé, je me rends compte que c’est une grande douleur qui prend la moitié de mon corps et une fois que je m’en suis rendue compte, je ne peux plus l’ignorer, je dois soit augmenter ma dose d’antidouleurs, soit me reposer pour gérer la douleur, car je ne peux plus continuer l’activité que je faisais. Dans ce cas, il est assez intéressant de noter que le seuil est lorsque je me rends compte que j’ai mal, une fois que j’ai identifié le problème.

Comme d’habitude, j’écris encore un article pas vraiment construit à un horaire bien trop tard dans la nuit. Comme d’habitude, c’est à l’image de mes douleurs. J’aurais au moins tenté d’expliquer ma notion de seuil.