Maladie chronique et travail
Pour une fois, je vais essayer de faire un article un tant soit peu construit. Cela me changera de mes articles précédents dans cette catégorie – spoiler, j’ai moyennement réussi, j’ai mis des titres, ce qui est plus que d’habitude -. Je veux écrire un article sur la maladie chronique et le travail parce qu’il y a tant à dire et qu’apporter un témoignage de plus ne peut pas faire de mal pour lutter un peu contre les stéréotypes et autres fantasmes que les gens peuvent avoir sur cette thématique. Comme d’habitude, je ne cherche pas à tendre vers l’exhaustivité, ni la représentativité, ce n’est seulement que mon témoignage, ma vision de ma situation. Je ne cherche pas à parler pour qui que ce soit d’autre que moi-même.
J’ai une maladie rare, chronique et orpheline et je suis informaticienne. Être une femme dans la tech, ce n’est pas le cas majoritaire, à cela, j’ajoute quelques briques d’intersectionnalités et je suis l’oiseau rare. Je travaille à temps plein, je n’ai pas de RQTH (reconnaissance de la qualité de travailleuse handicapée), je n’en ai pas fait la demande. Sur mon blog, j’utilise le féminin par défaut ainsi que la règle de proximité, au cas où vous seriez nouvelle ici. De plus, je n’ai pas ouvert les commentaires, donc, inutile de les chercher. Pour revenir à nos moutons, j’ai une ALD (affection longue durée). Je ne pense pas bénéficier de plus d’arrêt maladie que la moyenne française qui est de 23 jours en 2021 puisque je dois être en moyenne à moins de 5 jours d’arrêt en raison de ma maladie chronique par an en incluant les 2 jours de bilan annuel. Je vais m’arrêter ici pour les éléments de contexte. Il y a évidemment des jours où je vais plus ou moins bien, mais cela ne m’empêche pas de travailler.
Un travail confortable
Je tiens à souligner que je n’ai pas un travail physique, j’ai même un travail confortable, car la plus grosse crainte de mon employeuse, c’est d’éviter les TMS (troubles musculosquelettiques) lorsque je pianote sur mon clavier. Je suis informaticienne, je passe ma journée soit en réunion, soit devant un écran à tapoter sur mon clavier et à déplacer ma souris, je fais aussi des visioconférences. C’est un métier qui est confortable parce que je suis confortablement installée derrière un ordinateur et que je ne fais pas d’efforts physiques, je ne soulève rien de lourd, je ne me casse pas le dos à mon travail, je n’ai pas à subir les intempéries et surtout, je peux faire du télétravail. Parfois, j’ai besoin de faire une petite sieste, je me cherche un endroit où me reposer, puis cela repart. Dans les entreprises où je travaille, il y a parfois des salles de repos, avec des lits. Chez moi, je me suis aménagé un poste de travail très confortable, pour mon dos, pour mon cou et contre les TMS. Le télétravail permet de ne pas avoir à prendre les transports tous les jours, ce qui m’économise beaucoup de fatigue et des risques de contagions parce que je suis immunodéprimée.
J’ai donc cette chance de bénéficier d’un travail que je peux faire facilement, sans que la contrainte physique soit élevée. Le seul moment où j’invoque ma maladie au travail, ce sont lors des réunions qui s’appellent des « stand up » où il faut être debout. Si je reste debout sans me déplacer, cela me fait vite très mal aux jambes et il m’est beaucoup plus confortable de m’asseoir. À défaut de chaise, je n’hésite pas à m’asseoir par terre.
En revanche, c’est un travail où j’ai besoin de me concentrer, de réfléchir, de lire et de comprendre le code des collègues, ce qui demande beaucoup d’attention. Le symptôme le plus envahissant de ma maladie étant les douleurs chroniques, il m’est parfois difficile de me concentrer tant la douleur peut me gêner. Cependant, il est assez rare que la douleur soit telle que cela impacte mon travail significativement, d’autant plus que je peux prendre de puissants antalgiques pour lutter contre ces douleurs.
Ce travail est d’autant plus confortable qu’il y a une certaine tension sur le marché des informaticiennes pour les recruter. Cela me permet de « choisir » mon travail. C’est assez inhabituel dans le monde du travail, mais oui, je fais un métier où il y a beaucoup de postes et peu de candidates. Faites une reconversion, vous verrez, c’est super. Cela change de l’époque où j’étais étudiante en psychologie ou bien lorsque j’étais serveuse. Disons que le marché du travail était un peu moins en ma faveur.
Pour toutes ces raisons, et probablement bien d’autres, il m’est possible de travailler à 100%. Je pourrais demander un temps partiel pour raison médicale, cependant, je ne le souhaite pas. Je veux travailler à 100%, je veux faire ma carrière, tant que la maladie ne m’handicape pas trop, je continue ainsi. Si j’avais une formation dans un autre secteur ou bien que mon travail nécessiterait que je sois constamment debout, ce serait clairement une autre histoire. Je ne pense pas que je pourrais soutenir le même rythme. Il y aurait une limitation physique. Je fonctionne déjà grâce à une prise importante d’opioïdes tout en étant toujours sur le fil à jongler entre mes antalgiques et ma capacité de fonctionner.
J’ai donc, cette chance, d’avoir un métier que je peux exercer pleinement.
Il faut, bien sûr, fournir le travail demandé, d’autant plus lorsque plus de responsabilités me sont données. Je le précise au cas où mon message précédent paraisse trop fantastique. Je tiens à souligner que je peux faire ce métier, et spécifiquement ce métier, malgré ma maladie, parce que les conditions dans lesquelles je travaille sont bonnes. Cependant, cela reste un travail dans le monde du travail. Il m’est aussi plus facile de travailler dans un domaine lorsque j’apprécie ce domaine.
Maintenant, discutons un peu de ma maladie.
Être malade
Comme je le dis déjà dans cet article, être malade, c’est être malade. Il existe beaucoup de maladies différentes, chacune d’entre elles ont diverses répercussions sur l’ensemble des domaines de vie des patientes. Chaque malade a sa propre façon de vivre sa maladie. Je pourrais vous dire le nom de ma maladie, mais je ne suis pas certaine que cela vous parle beaucoup. Pour mon ALD, il y a marqué que j’ai une neurosarcoïdose pluriradiculaire. Maintenant que je vous ai dit cela, vous êtes bien avancées.
Quelque part, j’ai une certaine chance d’avoir ma maladie et pas une autre. Même si cela pourrait être mieux, cela pourrait être pire et bien pire. J’ai une certaine chance d’avoir une maladie où je ne suis pas inquiète pour ma survie. De plus, c’est une maladie, si bien prise en charge, qui n’a pas trop d’impact sur mon quotidien. J’ai, comme je l’écris souvent sur mon blog, des douleurs chroniques, je suis aussi immunodéprimée et à cause du traitement, j’ai de l’ostéoporose. Pour grossir le trait, j’ai des os aussi solides qu’une personne de 80 ans environ. Si je tombe, je me casse un os. Il faut vraiment que j’évite de tomber.
J’ai une maladie dite invisible, car si vous ne le savez pas, vous ne verrez pas que je suis malade. Je n’ai pas de cathéter branché à mon corps, je n’ai pas de cicatrice qui prouve que les médecins m’auraient découpée en deux, je n’ai pas d’appareillage médical complexe, je n’ai pas de fauteuil roulant, je n’ai pas de canne, je n’ai pas de chien d’assistance, je n’ai pas de béquilles, je n’ai pas de carte de priorité, pas de RQTH, je n’ai pas de chimio thérapie qui m’aurait fait perdre tous mes cheveux, bref, je n’ai pas tout ce à quoi nous pensons lorsque nous imaginons une personne malade chronique. J’ai une ALD et beaucoup de médicaments ainsi qu’un TENS (transcutaneous electro neuro stimulator). L’ALD n’est pas quelque chose qui se voit, en revanche les médicaments et le TENS c’est une autre histoire. Je prends des médicaments tout le long de la journée, vous me verrez forcément, à un moment ou bien à un autre, prendre des médicaments. Cependant, beaucoup de gens prennent des médicaments, voire des compléments alimentaires en cachets. Pour le TENS, à chaque fois que j’appuie sur un bouton, il fait un « BIP » très fort et c’est assez reconnaissable. Lorsqu’il faut que j’appuie 20 fois dessus pour le démarrer et le mettre en route, mes voisines sont bien courantes que je suis en train de mettre le TENS en service. Le dernier indice qui pourrait vous faire dire que je suis malade, c’est lors que j’ai des douleurs qui me font faire des grimaces ou qui m’empêchent de me concentrer. Même si je prends beaucoup d’antalgiques, ce n’est pas suffisamment pour réduire les douleurs au silence complet. Elles continuent de se manifester sans crier gare et moi, je dois composer avec cela. Si vous me voyez faire des grimaces, c’est normal, enfin, non, c’est habituel, et généralement cela passe en quelques secondes voir quelques minutes dans les pires cas. Il y a d’autres douleurs, moins spontanées, plus insidieuses qui viennent me gêner durant une journée. Ces douleurs-ci sont majoritairement prises en charge par ma prise régulière d’antalgiques, même si parfois, ces antalgiques peuvent être insuffisants. Cela dit, c’est assez rare. Mais c’est aussi parce que j’ai l’habitude de gérer mes antalgiques, et c’est un vrai apprentissage. Peut-être que j’écrirai un article sur ce sujet, ultérieurement.
J’en ai déjà parlé plusieurs fois sur mon blog, tous les ans, je fais un bilan. Pour cela, 2 jours d’arrêts me sont prescrits le temps que je passe les différents examens médicaux. Je vois les médecins en consultations lorsque c’est nécessaire ainsi que pour mon suivi. En soi, cela ne prend pas beaucoup de temps.
Je ne mets pas souvent de vidéo directement sur mon blog, mais j’aime bien cette vidéo dont la vignette est « flare day », ces quelques mots si difficiles à traduire et pourtant si expressif – je pars du principe que l’anglais ne vous pose pas de problème -. Ce que j’aime bien dans cette vidéo, c’est que nous pouvons voir que malgré un « flare day », la personne mène un quotidien bien rempli. S’il n’y avait que les images, sans le son, sans les textes, il serait difficile de penser que c’est une vidéo à propos d’un « flare day ». De plus, j’aime beaucoup la première phrase qu’elle met en avant : « Healing is not linear ». Well, « healing » est optimiste sur des maladies orphelines, cela dit, je pense plutôt que le terme a été utilisé pour signifier que la maladie ne se manifeste pas de façon linéaire et par conséquent, notre forme, notre morale, notre énergie en tant que patientes chroniques varient d’un moment à l’autre.
Mon premier travail et la maladie
Comme tout le monde, j’ai ma propre histoire et mon histoire a fait que je suis entrée sur le marché du travail, dans l’informatique, assez tardivement. Ma maladie s’est déclarée en même temps que je cherchais mon premier travail. Je n’avais aucune idée du « marché du dev », du rapport de force entre les développeuses et leurs employeuses ainsi qu’une idée de l’échelle des salaires. De plus, je n’ai aucune expérience de ma maladie, d’être malade. Je ne connais pas bien les symptômes de ma maladie, je dois encore apprendre à être une malade chronique et à vivre avec. Je décide alors de cacher ma maladie, ainsi que d’autres aspects de ma vie privée au travail. Ayant été confrontée plusieurs fois à des discriminations, je préfère être prudente.
Je commence mon premier travail exténuée, car je viens d’être diagnostiquée, que la médecin qui me suit ajuste le traitement et que tout cela est nouveau pour moi. De plus, ma formation très théorique en informatique ne m’a pas du tout enseigné le travail d’une développeuse en entreprise, je dois apprendre sur le tas ce que cela signifie vraiment. Apprendre sur le tas demande plus d’énergie. Ce qui va avoir le plus de contraste pour moi, c’est le poste, la position. Pour avoir été serveuse, standardiste ou bien réceptionniste, j’ai plutôt l’habitude d’être en bas de la hiérarchie. Le poste de développeuse est très différent. Il n’y a pas réellement d’horaire, je n’ai pas un manageur sur le dos à vérifier mes moindres faits et gestes et il y a de la considération pour le poste que j’occupe. Il faut beaucoup apprendre par soi-même et composer avec le caractère de ses collègues. Il y a bien évidemment du « mansplaining », du plafond de verre et des blagues salaces, bien que je sois bien plus épargnée que d’autres femmes à d’autres postes au sein de l’entreprise où j’ai fait mes débuts en tant que développeuse fullstack. Ce qui me fera toujours rire, ce sont ces hommes qui se présentent comme féministes.
Je crois qu’à peine un mois après mon arrivée, je m’embrouille avec un homme d’un autre service car il a une image sexiste en tant qu’avatar sur la messagerie interne de l’entreprise, ce que je trouve inadmissible. C’est une photo de lui avec un texte, je ne me souviens plus du texte exactement, mais c’était quelque chose équivalent à « fier d’être sexiste ». Pour lui, je manque d’humour et d’autres femmes de l’entreprise disent que ce n’est pas grave, qu’elles ne le prennent pas mal, que l’image sexiste ne les gêne pas, que bref, ça va quoi. Et surtout, elles me souhaitent bonne chance, car elles ont déjà essayé de lui faire retirer son image à la con et qu’elles n’ont pas réussi. La différence, c’est le poste. Je suis développeuse et c’est difficile de recruter des développeuses et lui, il n’est pas développeur. Je continue mon scandale et après maintes discussions, ainsi que le soutien de mon N+1, il doit faire en sorte que son avatar ne véhicule plus de connotation sexiste. Victoire.
Cela a aussi l’avantage d’annoncer la couleur. Dans une entreprise d’environ 25 personnes, ces messieurs savent que je ne laisserai pas passer ce genre de choses. J’ai bien dû pleurer une ou deux fois, car c’était, malgré tout, difficile et j’étais aussi très fatiguée. C’était pour la petite anecdote.
Au quotidien, être malade, pour moi, au travail, c’est surtout prendre des médicaments de temps en temps, et quelques fois, m’absenter pour aller chez la médecin, selon les périodes, je peux avoir besoin de dormir un peu aussi. Pour prendre mes médicaments, c’est assez simple, c’est rapide et cela ne se remarque pas vraiment, j’avale mes cachets et c’est fini. Sauf l’Acupan, vu qu’il faut casser une petite ampoule, vider l’ampoule dans un verre et boire le médicament, ce n’est pas très discret, mais cela passe. Cela n’attire pas l’attention. Pour les consultations, il est possible de s’arranger avec les horaires, puis rattraper ses heures, cela n’a rien de compliqué dans la mesure où mon poste n’a pas d’horaire, ce qui compte c’est de faire son travail. Mon traitement fait effet, je n’ai pas trop à subir les symptômes de la maladie pendant ma journée de travail.
Le problème, c’est lorsque les collègues s’aperçoivent que je prends du tramadol et de l’Acupan à longueur de journée. C’est limite s’ils – dans ce cas, mes collègues étant que des hommes, je mets au masculin – ne me demandent pas si je suis « toxico ». C’est dingue ça, en France et ailleurs, prendre du tramadol est forcément associé à la toxicomanie. Être droguée. Pourtant, cela fait quelques mois qu’ils me voient tous les jours et ils n’auraient jamais pensé que je suis droguée – dans le sens péjoratif du terme -, mais le tramadol étant tellement relié à cette idée que c’est la première pensée qui leur vient.
Au sein de cette équipe technique, je m’aperçois que je n’aurai pas de problème parce que je suis malade chronique ou bien parce que je suis en couple avec une femme. Je peux ainsi faire mes coming out assez rapidement. C’est bien plus confortable de ne pas avoir à se cacher, de pouvoir parler de mon couple comme toutes les autres collègues qui parlent sans cesse de leur hétérosexualité sans crainte d’être discriminées, de pouvoir dire que je vais à une consultation médicale au milieu de la journée, que je finirai mon travail en décalé. J’ai envie de dire, cela se passe bien. Pour me jeter des fleurs, mais aussi pour expliquer un peu les facilités que je rencontre, c’est que le travail fourni est apprécié et il sera assez unanimement reconnu que j’ai significativement fait avancer le produit à un moment critique. Cela me met dans une position très confortable.
Pour la petite histoire, il y avait un bug que nous appelions le bug du « prix zéro » car pour des raisons inconnues, cela mettait nos produits à la vente à un prix de -0,01€ – cette entreprise étant juridiquement liquidée, il n’y a plus vraiment d’enjeux à révéler des bugs -. Comme l’appeler le bug du prix à moins un centime sonnait bof, nous avons opté pour le bug du prix zéro, cela sonnait mieux. C’était un vieux bug connu et personne ne trouvait son origine et comment le reproduire. Nous ne savions même pas vraiment à quel moment ce bug apparaissait, nous nous rendions compte fréquemment que nos produits avaient un prix nul. Un peu par chance et en cherchant aussi, je trouve l’explication de ce bug et je le corrige. Je ne vous raconte pas comment j’ai frimé ce jour-là. Le DG qui est aussi cofondateur de l’entreprise, m’offre du chocolat pour me remercier. Tout le monde avaient déjà remarqué que j’apprécie beaucoup les friandises. J’ai beaucoup apprécié le geste. Cela a aussi été un gros point en plus apporté à mon crédit.
Cela semble idyllique voir irréel tellement j’ai de la chance, je me retrouve dans une situation confortable où je peux vivre telle que je suis, en couple avec une femme, malade chronique, sans être inquiétée à cause de ça au travail.
À une autre occasion, parce que j’avais fini assez rapidement une partie du produit, ce qui permettait aux opérationnels d’avoir de nouveaux outils, le DG, toujours le même, achète un Fatboy, un vrai et pas une sous marque, pour que je puisse faire mes siestes au travail, le confort quoi. Le Fatboy était au milieu de l’open space des dev et nous nous en servions régulièrement et je n’étais pas la seule à m’en servir. Ce qui est intéressant, c’est de noter que faire sa sieste au travail est normal et que dans mon cas, le moyen de faire la sieste est fourni par la hiérarchie. Il y a toujours quelque chose que je ne comprends pas, c’est que certaines collègues me disaient qu’elles n’osaient pas dormir devant d’autres personnes, alors que moi, cela ne me pose aucun problème, je me mets en boule et je dors. J’ai même amené une couverture pour ne pas avoir froid. Vous êtes en train d’imaginer un gros chat, n’est-ce pas ?
Senior dev
Pour diverses raisons, je change d’entreprise, et quelques semaines après mon arrivée, mes nouveaux collègues me disent que je suis senior dev, car je n’ai pas besoin d’aide et que je résous les tâches qui me sont données. Je crois que j’ai répondu : « euh ok ».
Dans cette nouvelle entreprise, je fais mes coming outs directement, je parle même de ma maladie chronique lors des entretiens d’embauche afin de vérifier qu’il n’y aura pas de problème pour aller en consultation médicale ou quoique ce soit en lien avec ma maladie. Je vérifie aussi qu’il n’y a pas trop d’adhérentes LGBTphobes à LMPT (La Manif Pour Tous). Pas de bol, j’apprends après mon embauche qu’il y a un militant de LMPT revendiqué. Heureusement, il démissionnera rapidement après mon arrivée. Aucun rapport avec moi en plus.
Ce qui est particulier avec une maladie chronique, c’est qu’il faut constamment faire son coming out. Bonjour, je suis malade chronique, j’ai aussi des douleurs chroniques, je prends des médicaments, du tramadol par exemple, non, je ne suis pas une droguée, j’ai un TENS qui fait des « bip » très fort, oui il y a une batterie, non je ne suis pas Terminator même si j’aime beaucoup faire des jeux de mots avec Sarah Connor, vous pouvez me voir faire des grimaces, cela veut dire que j’ai mal, mais ne vous inquiétez pas, cela va passer, non, je ne vais pas mourir, non mon espérance de vie n’est pas réduite, est-ce que j’ai porté mes enfants, mais ça ne vous regarde pas, oui, j’ai tous mes cheveux, non, je ne suis pas en arrêt tous les jours, non, je n’ai pas de fauteuil roulant pas de canne non plus, oui, j’ai déjà dit que j’avais des médicaments, mais vous savez toutes les malades chroniques n’ont pas forcément des médicaments, non, je ne suis pas aveugle, sinon je suis immunodéprimée, donc ne me soufflez pas dessus s’il vous plait, ne vous étonnez pas si je m’assoie partout où je vais parce qu’être debout sans bouger est douloureux pour moi, etc, etc. Bref, n’appelez pas une ambulance, sauf si je vous le demande. Ce qui n’est jamais arrivé au travail depuis le début de ma maladie.
Tout se passe bien, la vie professionnelle suit son cours et suite à un déménagement des bureaux et après les confinements, je suis assise auprès d’un collègue qui devient, au fil du temps, un ami. Nous discutons de beaucoup de choses et je finis par lui parler un peu plus de ma maladie en détails. Il se sentait très touché par ma confiance, mais ce qui m’a le plus marqué dans sa réaction, c’est qu’il m’a dit qu’il ne s’en était pas aperçu. Il ne s’était pas aperçu que j’avais des douleurs chroniques jusqu’à ce que je le lui dise. Il me voyait, bien sûr, prendre mes médicaments, mais nous pouvons prendre des médicaments pour de nombreuses raisons. De plus, j’utilise des piluliers, il est difficile d’identifier des médicaments juste en regardant les cachets. Il faut dire, aussi, que mes douleurs chroniques varient au fil du temps, il y a des périodes hautes et des périodes basses. Il se peut qu’à certaines périodes, je sois presque asymptomatique – depuis le COVID, tout le monde connait ce mot -, peut-être que c’était le cas à ce moment-là.
Pour une autre petite anecdote, je voulais une place avec un tiroir, ou un caisson, ou un meuble où il est possible de ranger quelques affaires, sans forcément que ce soit un endroit qui ferme à clé. Une étagère me convient très bien, je laisse quelques broutilles que j’aime bien avoir avec moi au travail, mais rien qui pourrait être classé secret-défense. J’ai aussi pris l’habitude de laisser quelques médicaments, au cas où j’oublie de les prendre le matin, ou que j’oublie mon pilulier, ou tout simplement parce que c’est plus pratique pour moi d’avoir mes médicaments là où je suis souvent sans avoir à tout transporter en continu dans mon sac. Cela diminue un peu la charge mentale de malade chronique.
Petit aparté contre ceux – et je laisse volontairement au masculin – qui disent qu’ils n’ont pas besoin de rangement et qui ensuite viennent constamment me demander un mouchoir, une crème pour les mains, des post-it, un stylo, un Doliprane, et qui en plus ont le culot de dire « mais je ne t’en demande qu’un, c’est rien du tout ». Surtout qu’ensuite, il faut courir après machin et bidule pour récupérer ses affaires. J’ai laissé une boite de mouchoir, j’en ai utilisé un, et la semaine d’après, la boite était vide. Quand j’ai fait remarquer à l’équipe que je n’avais pas vu la couleur de ma boite de mouchoir, il n’y en a pas un qui m’a ramené une boite de mouchoir. Je ne suis pas votre mère les gars, et j’espère que vous traitez votre mère mieux que ça. À cause de cela, j’aime bien avoir un rangement fermé. J’ai envie de souligner que les filles ne me demandent rien, mais il n’y a presque pas de filles au bureau, alors forcément. Dépanner ses collègues, c’est bien, mais il faut qu’il y ait un minimum de réciprocité.
Je reprends mon anecdote, je laisse des antidouleurs sur l’étagère où j’ai quelques affaires. Je n’ai jamais eu de problème de vol de médicaments, mais notre cher DAF cherchait quelque chose dans les bureaux et a fouillé partout, notamment l’étagère où je laisse mes affaires et est tombé sur mon tramadol et mon Acupan. J’ai eu le droit au mail me précisant que je n’avais pas le droit de laisser des médicaments, en particulier des antalgiques de niveau 2 au bureau et que normalement ces médicaments doivent être enfermés dans une armoire à pharmacie sécurisée. Ce à quoi j’ai répondu que si l’entreprise me fournissait un rangement que je pouvais fermer à clé, comme un caisson tiroir, l’histoire serait réglée. Comme l’entreprise ne veut pas acheter de caisson tiroirs, notamment parce que nous avons un petit open space, nous sommes à peine une trentaine, nous avons fait un compromis sur la demie armoire qui ferme à clé et dont je suis la seule à avoir les clés. C’est le genre d’armoire dans laquelle il est possible de ranger des classeurs ou autres paperasses. Au final, j’ai un rangement fermé dans lequel je peux y mettre une boite de mouchoir et mes médicaments. Ce n’était pas un moment très agréable, d’autant plus qu’il m’a menacé de prendre mes médicaments de façon préventive pour éviter d’autres salariées de se droguer. Je n’aime pas trop l’idée de me faire prendre mes antalgiques alors que sans, je ne fonctionne pas et que c’est déjà assez compliqué ainsi pour gérer les douleurs chroniques, pour que quelqu’un interfère avec mes antalgiques. Au final, il ne l’a pas fait, mais le lendemain matin, j’ai malgré tout recompté les maigres stocks que je laisse au bureau. Je sens que si je laisse une boite de morphine, ça va hurler. Je me suis dit que j’allais faire la blague d’apporter une boite de morphine vide pour voir comment il réagirait, mais je ne l’ai pas fait non plus. Au final, tout s’est bien terminé, mais il est vrai que sur le coup cela m’avait agacé.
Pour passer du coq à l’âne, concernant le COVID et les confinements, je n’ai pas grand-chose à dire. Nous avons respecté les gestes barrières, nous avons mis des masques et nous avons fait beaucoup de télétravail. À chaque fois qu’un collègue avait le COVID, nous suivions les procédures misent en place par le gouvernement. J’ai eu le COVID, mais je ne l’ai pas eu via le travail, il est probablement arrivé par les enfants et l’école. J’ai beau être immunodéprimée, ma maladie ne semble pas présenter de risques accrus vis-à-vis du COVID.
Je crois avoir épuisé le stock d’anecdotes pour l’instant, je vais donc arrêter cet article déjà très long. Je n’ai pas vraiment de conclusion et au final, c’est un peu le boxon dans mon article. J’ai la double chance d’avoir une maladie qui ne soit pas trop envahissante et d’avoir un CV et des compétences très recherchées, ce qui me permet de bénéficier d’un travail à 100%. Malheureusement, beaucoup d’autres maladies sont bien plus handicapantes et il serait difficile de dire que le gouvernement fasse réellement quelque chose pour l’inclusion des malades chroniques.
To all my fellow warriors, keep fighting!