Spoonies

Névralgie trigéminale

Au début de ma sarcoïdose, j’avais surtout mal à l’hypocondre droit – oui j’apprends de nouveaux mots depuis que je suis malade chronique -, puis les douleurs sont apparues un peu partout. Parmi toutes ces douleurs, il y en a une vraiment plus violente que les autres. Heureusement, elle ne survenait pas souvent. J’avais mal à la mâchoire inférieure. Quand nous avons une sarcoïdose, nous pouvons nous attendre à avoir mal à plein de localisations différentes, mais pas à cette localisation improbable qu’est la mâchoire. J’avais aussi souvent mal à l’œil, cette douleur était moins forte que celle de la mâchoire, mais elle était beaucoup plus fréquente et tenace. Le genre de douleur qui te fait savoir que tu vas trimer dur avant qu’elle ne lâche l’affaire. Généralement, dans le cadre d’une sarcoïdose, une douleur à l’œil fait suspecter une uvéite. Évidemment, je n’ai pas d’uvéite. Pour les médecins mes yeux vont bien.

À chaque fois j’en ai parlé à ma médecin – une interniste, ne pas confondre avec une interne – à l’hôpital où je suis suivie. Elle me prescrit du tramadol, du néfopam et de l’amitriptyline pour gérer ce type de douleurs, parmi d’autres bien sûr. Cependant, il n’y a pas vraiment de raison identifiée, d’hypothèse diagnostic avancée, rien, j’ai juste droit à des antidouleurs, sans explication, sans idée sur le pourquoi du comment j’ai mal ainsi. J’ai mal, c’est ainsi.

Tous les ans, je fais un bilan, je reste deux jours à l’hôpital, je passe mes examens, et parfois les médecins me passent au « staff ». La réponse à la question « pourquoi j’ai mal ? » est inlassablement la même : « on ne sait pas ». Je dis au médecin – qui n’est pas la médecin qui me suit – lors d’une grande visite que je déteste, que j’ai mal à la mâchoire. Il réfléchit et me répond : « Je ne sais pas ». NSP, ne sait pas, je vais finir par appeler ces douleurs, les douleurs NSP, car « ne sait pas » est la réponse que je reçois systématiquement. Cela dit, je préfère une médecin qui me dit qu’elle ne sait pas plutôt qu’une médecin qui refuse d’avouer qu’elle ne sait pas. Finalement, j’ai mal, et je ne sais pas pourquoi, les médecins non plus.

Mes douleurs vont et viennent, parfois, c’est le bas de corps, la zone sous la ceinture est une zone de douleurs continues. Parfois, c’est les bras, parfois la poitrine, parfois le ventre, souvent le dos, parfois la tête et parfois une combinaison de tout cela. Celles que je redoute le plus c’est les douleurs du visage. Mon dos me fait terriblement souffrir et c’est la douleur la plus présente, mais cela n’atteint jamais l’intensité des douleurs au visage. Parfois, oui parfois, la douleur ça rend dingue.

J’ai fini par demander à ma médecin si je pouvais avoir un rendez-vous au centre anti-douleur de l’hôpital. Pour avoir un rendez-vous au centre anti-douleur, il faut une lettre d’un autre médecin. Il n’est pas possible de prendre rendez-vous par soi-même. Elle me fait la lettre et j’obtiens assez rapidement un rendez-vous. Je rencontre une nouvelle médecin, elle essaie de comprendre l’origine de mes douleurs pour mieux les prendre en charge. Très vite le NSP revient. L’imagerie est bonne, les autres analyses le sont aussi. Elle me propose un TENS – transcutaneous electro neuro stimulator -, je l’accepte avec plaisir. Je m’étais déjà renseignée sur le TENS et j’avais très envie de l’essayer.

Je sors de l’hôpital et je vais tout droit à ma pharmacie habituelle. La pharmacienne me commande le TENS, je l’aurai dans quelques jours. Une fois reçue, je le teste, c’est vraiment très bien. Il n’y a pas d’effets secondaires et cela prend en charge une grande partie des douleurs aux jambes et son effet est immédiat. Le tramadol et le néfopam mettent environ 40 à 60 minutes avant d’agir après la prise. Je suis vraiment très contente. Cela permet de diminuer la prise d’opioïde et donc leurs effets secondaires.

Cet été, j’ai eu une pneumonie, j’ai dû arrêter partiellement mon traitement immunosuppresseur pour me débarrasser de cette pneumonie. À peu près en même temps, de violentes douleurs au visage sont apparues. J’ai eu une violente crise de douleurs au visage pendant une dizaine de jours. Je crois que je n’ai jamais mangé autant d’opioïdes en si peu de temps. Je me shootais en continu pour pouvoir supporter la douleur à raison de 2 cachets de tramadol et un néfopam toutes les 4H00. Évidemment, avec une prise si élevée d’opioïdes, j’ai déclenché la dépendance physique, mais ce n’est pas ce dont je veux parler dans cet article. Cela fait plusieurs fois que je dois me sevrer, c’est particulièrement désagréable et difficile, mais j’en parlerai plus en détail dans un autre article.

Les douleurs au visage étaient extrêmement envahissantes, les dents, la mâchoire, les sinus, l’œil et la partie du front au-dessus de l’œil me faisaient terriblement mal, il y a aussi derrière l’oreille, mais cela ne fait pas partie du visage. Je ne tenais pas sans antidouleur. Cela me rappelait la fois où un dentiste m’a soigné une dent alors que l’anesthésie ne fonctionnait pas. Lorsqu’il touche le nerf avec la fraise, cela réveille, je vous le certifie. J’ai maintenant cette sensation assez régulièrement. Parfois une dent du fond de la mâchoire, parfois une dent du dessus, une autre fois une dent du dessous, et ainsi de suite. Parfois ce n’est que la mâchoire droite, parfois la gauche, et parfois les deux. Ces douleurs au visage sont horribles, elles empêchent de penser, de réfléchir, de regarder, de faire quoique ce soit. Il est juste possible de lutter contre la douleur, attendre qu’elle passe, si elle passe. C’est comme être dans un brouillard très épais, tout est brumeux en plus de la douleur. Je me suis souvenue que j’avais eu une crise de douleur un peu similaire au début de la maladie. Encore une fois, personne n’avait aucune idée de pourquoi j’avais mal. J’avais juste mal.

Ces douleurs au visage sont plus fréquentes maintenant. J’ai toujours ces « coups de jus » dans les dents, cela réveille. J’ai régulièrement mal à l’œil aussi, bien que ce ne soit pas nouveau, avant ce n’était pas aussi fréquent. Ce qui est nouveau ce sont les douleurs aux pommettes. Ces douleurs-là, je ne les avais pas avant.

À ma dernière visite au centre antidouleur, je décris les douleurs à la médecin des douleurs, je vais l’appeler ainsi afin de les différencier. Elle me répond immédiatement que cela fait très névralgie du trijumeau. Je me demande comment j’ai fait pour ne pas y penser plus tôt alors que je connaissais de nom cette atteinte neuropathique. La névralgie trigéminale est très connue, car elle est appelée « la maladie du suicide ». Je ne suis pas spécialement suicidaire, là n’est pas la question. Cette maladie est appelée ainsi parce que la douleur est telle que la mort serait préférable. Les témoignages sur le suicide de personnes souffrant de névralgie du trijumeau sont assez nombreux et faciles à trouver sur Internet. Je vous en ferai grâce dans cet article. C’est une maladie ou une atteinte, je ne sais pas trop, qui est réputée être la plus douloureuse. La « plus », pas « très », c’est une subtile différence. D’autres diront que c’est la CRPS – chronic regional pain syndrome -, bref ce n’est pas un concours.

Il est aussi dit que la névralgie du trijumeau survient chez les personnes plus âgées, lorsque ce sont des personnes plus jeunes, il faut d’abord suspecter une cause tierce. Il est dit dans la littérature que c’est une névralgie trigéminale secondaire, car c’est le symptôme d’une autre maladie, la névralgie trigéminale n’est pas, dans ce cas, la maladie, mais un symptôme. Quand nous avons mal, peu importe que ce soit une cause secondaire ou primaire, nous voulons juste que la douleur cesse.

Bien que les débuts aient été un peu chaotiques, la douleur s’installe progressivement, doucement, mais sûrement. En plus de la sciatique, de la cruralgie, des courbatures continues dans les jambes, des décharges électriques dans les cuisses, des douleurs inconnues diverses et variées au niveau du ventre, du dos et de la poitrine, des douleurs articulaires dans les bras, c’est maintenant la tête. La douleur part de l’arrière du cou et monte sur le côté de la tête, passe derrière l’oreille et vient ensuite submerger le visage. La mâchoire, les dents, les sinus, les yeux, le front. Avoir mal partout, veut dire partout. Il ne me semble pas avoir souvent croisé des gens qui avaient mal partout, mais vraiment partout. Ce qui me met dans une position assez précaire vis-à-vis des soignantes qui me demandent où j’ai mal. « Partout » ne semble pas être une réponse acceptable. Il faut préciser, si c’est une jambe, un bras ou autre chose. Non, c’est partout, mais partout n’est pas possible. Personne n’a jamais mal partout.

C’est ainsi que pour la première fois, une médecin m’a parlé de névralgie trigéminale me concernant. Elle m’a aussi dit que lors des sarcoïdoses cela pouvait arriver. Par chance, elles sont moins douloureuses et moins paroxystiques, mais la douleur, moindre, est toujours présente. Cela a l’air de correspondre avec mon atteinte. Elle m’a prescrit un traitement, il faut attendre quelques mois avant de vérifier s’il fonctionne ou pas. Encore des cachets, trois de plus par jour. Je vais finir par ouvrir une pharmacie.

C’est un peu le bazar mon article, les paragraphes n’ont ni queue ni tête. Je ne suis pas sûre de vouloir y remettre de l’ordre. Tant pis, après tout c’est à l’image de mes douleurs.