Spoonies

6 ans de maladie

Cela fait un peu plus de 6 ans que je suis « officiellement » diagnostiquée avec une maladie dysimmunitaire. Cela fait environ 6 ans que je vis avec des douleurs chroniques. 6 ans, c’est beaucoup et pas beaucoup et pourtant cela me paraît être une éternité. Avez-vous déjà essayé de mesurer le temps qui s’égrène lorsque vous avez une douleur accablante ? Je suis certaine que le temps va vous paraître infiniment plus long. C’est une forme de relativité.

Une année de plus, je fais mon bilan annuel. Comme trop souvent, l’hôpital étant surchargée, mon hospitalisation est annulée, je ferai donc mes examens en « externe ». À la place d’être hospitalisée, je suis chez moi, et je me rends directement aux différents examens prescrits par la médecin qui me suit. Généralement, cela se passe bien, même s’il peut y avoir quelques couacs de temps en temps. Comme d’habitude – et oui, j’ai déjà des habitudes, malheureusement – les petites malines du service de radiologie où je passe mon IRM, ont voulu économiser l’injection du produit de contraste, alors que la prescription est rédigée avec produit de contraste et que je leur ai explicitement dit qu’il fallait le produit de contraste, et que je leur ai même dit avant de passer à l’IRM et après être passée à l’IRM. Cela doit être trop compliqué d’écouter la patiente qui connait un peu son propre dossier. Comme d’habitude, les médecins ne m’ont pas écoutée et ce qui devait arriver, arriva, j’ai passé mon IRM sans produit de contraste et une fois rentrée chez moi le service de radiologie m’appelle pour me demander de revenir pour passer à l’IRM avec le produit de contraste. Les aides-soignantes et infirmières se sont toutes excusées 50 fois, mais les médecins – celles qui donnent les ordres – n’ont même pas tourné la tête pour me regarder ou pour s’excuser. Cela en dit long. Elles m’avaient l’air assez jeunes, je suppose qu’elles sont des internes.

C’est toujours au moment du bilan annuel que je me sens la plus « malade ». Je ne suis pas plus malade que d’habitude, mais je suis une malade, une patiente, qui doit aller à l’hôpital, qui doit passer des examens, qui doit prendre des médicaments, qui doit voir des soignantes. C’est en ce sens que je dis « plus malade », une patiente qui doit s’occuper de ses soins à cause de sa maladie. C’est toujours à cette période que cela me plonge dans la maladie, j’ai beau mener une vie chargée, carrière, enfants, passe-temps, je suis non-stop, sauf lorsque je suis totalement épuisée, autrement, je fais toujours quelque chose, il y a éternellement ce rappel à la réalité. Peu importe d’être riche, jeune, célèbre, pauvre, âgée ou inconnue, la maladie ne fait pas de discrimination, elle touche n’importe qui. Face à la maladie, nous sommes toutes égales, nous sommes toutes que des corps, plus ou moins malades, plus ou moins résistants, plus ou moins fatigués. En revanche, là où nous ne sommes pas égales, c’est dans l’effectivité du soin. Encore une fois, il vaut mieux être un homme, blanc, jeune et riche, pour être la mieux soignée. À chaque fois, cela me renvoie dos à dos avec la maladie. J’ai beau vivre « normalement », j’ai beau savoir que je suis malade, comment pourrais-je l’oublier, j’essaie de vivre comme si je n’étais pas malade, malgré tout, à cette période, je me sens plus « malade », je suis malade. Je suis une patiente qui doit s’occuper de ses soins.

Que dire de plus de 6 ans de maladie chronique, d’examens médicaux, de consultations, de médicaments, de symptômes en tout genre ? La maladie fait partie de ma routine. Je la connais, je connais aussi mon corps, je connais les symptômes, même si, il y a quand même de petites variations. Je sais que je peux finir aux urgences d’un instant à l’autre, je sais comment réagir aux différents symptômes que je peux avoir. J’ai appris à être une patiente chronique, j’ai appris ma maladie. Il n’y a plus ces angoisses du début, au moment du diagnostic, ces angoisses liées à l’inconnue de la maladie, des fantasmes que nous projetons dessus, des peurs rationnelles ou irrationnelles que nous pouvons avoir face à l’annonce d’une maladie rare, chronique et orpheline, vais-je mourir, vais-je devenir handicapée, est-ce que je peux travailler, éduquer mes enfants, l’annonce de la maladie est aussi l’annonce d’un avenir incertain. Une fois tout cela passé, une certaine routine s’installe, cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de rebondissements, mais, malgré tout, tout se tasse et nous apprenons à vivre avec. Il n’y a pas de leçons à tirer, de moral à proférer, il n’y a pas grand-chose à dire en réalité, il y a juste moi et ma maladie, mon corps face à la maladie.