Une journée de crise
En anglais, le terme « flare » est utilisée lorsque la maladie se manifeste plus ou moins violemment. Dans le cas des douleurs chroniques, c’est lorsque les douleurs se font intenses et fréquentes, de façon à ce que ce soit insupportable. Généralement, cela s’accompagne de nausées, de vertiges, d’un mal-être général, le tout combiné fait que la personne fonctionne difficilement. En réalité ce terme de « flare » est difficile à traduire en français. J’ai opté pour « crise » car je n’ai pas trouvé mieux, cependant, je ne suis clairement pas satisfaite de cette traduction.
Aujourd’hui fut une de ces journées pour moi. Heureusement, c’était le week-end et je n’avais pas grand-chose à faire hormis me reposer. Je vais vous raconter cette journée afin que vous puissiez comprendre le mieux possible à quoi ressemble une telle journée pour les gens qui doivent vivre avec. Bien évidemment, à moins que vous le viviez vous-même, vous ne pourrez jamais vraiment savoir ce que c’est, au mieux, vous en aurez grossièrement une idée.
Ce matin, le réveil fut difficile. J’avais un mal de tête terrible et une douleur insupportable à l’œil droit, malheureusement, je sais que cela peut m’arriver, je sais même ce que c’est. Comme j’ai disposé des tablettes de tramadol partout dans la maison, je prends un cachet qui est sur ma table de nuit. Vous pouvez vous dire que je peux me lever et aller dans la « pharmacie » de la maison pour prendre un cachet antalgique, mais en réalité, lorsque la douleur est à ce point forte, se lever, se déplacer et chercher ses antalgiques est quelque chose de très compliqué. Raison pour laquelle je disperse du tramadol partout où je vais. Il faut que ce soit facilement accessible, que je n’ai pas à réfléchir pour pouvoir en prendre un. Lorsque la douleur s’empare de vous, il devient extrêmement difficile de réfléchir, de penser, de garder sa rationalité, son calme, sa sérénité, je deviens irritable et impatiente – le comble pour une patiente chronique -. La douleur accapare notre pensée. Si vous pouvez intellectualiser la douleur, c’est qu’elle n’est pas si forte que cela. Au-delà d’une certaine intensité, votre instinct, vos réflexes prennent le dessus sur votre rationalité. La seule chose à laquelle j’arrive à penser c’est de me répéter qu’il faut que la douleur cesse. Et je sais que je ne peux rien faire d’autre que de prendre ce foutu tramadol, dont j’essayais de me sevrer et attendre au moins quarante minutes qu’il fasse effet. Je sais aussi qu’un seul cachet ne sera pas suffisant, que dans une heure, je vais devoir en prendre un autre ainsi qu’un néfopam si je veux avoir l’espoir de faire diminuer cette douleur. Avec tous ces temps d’attente combinés, il faut environ deux heures avant de trouver un soulagement à ma douleur suffisamment significatif.
Les enfants jouaient dans leur chambre, je les entendais gazouiller. Cela fait plusieurs semaines que je veux aller au marché le dimanche, car il y a un producteur de miel qui vend du plutôt bon miel à un prix très raisonnable. Il me manque aussi quelques bricoles que je peux trouver au marché. Je me force à me lever. La douleur dans ma tête à chaque mouvement est terrible. J’ai l’impression que mon cerveau se cogne contre les parois de mon crâne, me faisant ainsi, terriblement mal. J’attrape ma tête entre mes mains pour me soulager, mais en vain. Je m’habille et je descends dans la cuisine. Les enfants me suivent et jouent dans le salon. Je ne m’occupe pas d’elles et je prends un néfopam. Je m’allonge dans le canapé du salon. J’ai aussi mal au ventre, cela a l’air plus digestif qu’autre chose. Je me demande ce que j’ai mangé, mais finalement, cela n’a rien à voir avec ce que j’ai mangé. J’ai juste mal au ventre. Je m’allonge sur le canapé. Allongée, mon dos me fait souffrir, je change de position. J’ai froid, je vais me chercher un duvet. J’ai toujours un mal de tête terrible, j’ai le visage engourdi, mon œil me fait aussi terriblement souffrir. J’ai des vertiges et des nausées. J’ai remarqué que cela faisait quelques semaines que j’avais des vertiges suspects. Je ferme les yeux et j’essaie de trouver une position pas trop inconfortable. Je dois attendre pour prendre le deuxième cachet de tramadol. En attendant, je reste là, ainsi, sur le canapé du salon.
Je prends ce deuxième cachet de tramadol, je me dis qu’il me reste encore une heure avant d’avoir un peu de soulagement. Les enfants me sollicitent, je les ignore. J’attends que les antalgiques fassent effet. Je lutte contre la douleur. J’ai toujours l’impression que ma tête ressemble à une cloche de cathédrale en pleine action. Je ne peux rien faire pour mon œil, sauf attendre, c’est extrêmement frustrant. La douleur obnubile ma pensée, je ne veux qu’une chose, c’est que la douleur cesse, il faut que la douleur cesse. Finalement, je sors la tête de mon duvet, je regarde les enfants jouer. La douleur à mon œil semble se calmer doucement. Mon visage est toujours engourdi. Les antalgiques semblent enfin agir. La cloche de cathédrale se calme. Cela fait un peu plus de deux heures que j’ai pris mon premier cachet de tramadol. Je suis étonnée d’avoir encore autant mal malgré mon combo d’antalgiques qui d’habitude est suffisant dans ce genre de situations. Je rassemble mes forces et je pars au marché en trottinette. Je laisse les enfants avec ma femme.
Il est presque midi, le froid pince le corps. À chaque aspérité de la route, je ressens une petite douleur dans le dos. Bien qu’un peu moins forte qu’au levé, les nausées sont encore présentes et me gênent. J’ai mal partout, mais comparé à quelques instants précédents, c’est supportable. Je fais mes courses et je rentre chez moi. En rentrant je suis frigorifiée. Fatiguée, toujours avec des nausées et des vertiges, toujours avec un visage engourdi, je m’installe dans le canapé, sous le duvet, j’essaie de trouver une position confortable et je m’endors.
Vers 13h, je me réveille. Je reprends un cachet de tramadol. Lors de ces journées de crise, je prends deux cachets de tramadol au début de la crise puis un toutes les deux heures. Je prends, en parallèle, un néfopam toutes les six heures. J’ai toujours la cloche de cathédrale dans la tête. J’essaie de me lever, mais cela sonne trop fort, je me rallonge, en me tenant la tête avec les mains. J’attends un peu et cela semble passer doucement, je peux m’occuper de la cuisine, car nous recevons ce soir, comme tous les dimanches soir.
Pendant le reste de la journée, je continuerai de me shooter aux antalgiques. À plusieurs reprises, j’ai senti l’intensité de la douleur à l’œil augmenté. Cela signifiait qu’il fallait que je reprenne un tramadol. La douleur est toujours présente, seuls les antalgiques me permettent de fonctionner. Les nausées se sont estompées, mais les vertiges perdurent. Heureusement, ce ne sont pas de gros vertiges. Je suis déphasée quelques secondes puis cela revient.
J’ai tenu, toute la journée, grâce aux antalgiques.