Mes scripts sociaux
Petit disclaimer : Ce n’est pas sur tous mes articles, mais c’est valable pour tous mes articles, je ne parle que de moi et je ne représente personne d’autre que moi.
Sans surprise, ces temps-ci, je n’écris que des articles sur l’autisme. Cette fois, j’ai envie d’écrire sur mes scripts sociaux. Comme pour à peu près tout le reste, je pensais que c’était la même chose pour tout le monde et encore une fois, que j’étais moins douée que les autres à ce petit jeu. Après un certain temps, voire un temps certain et vous comprendrez mieux ensuite, je me suis plus ou moins habituée et l’hypothèse de départ comme quoi cela aurait été pareil pour tout le monde, me paraissait parfaitement plausible, puisque j’avais, moi aussi, réussi à trouver une routine acceptable qui me convenait.
Un script social, qu’est-ce que c’est ?
C’est comme un dialogue, un scénario, prévu à l’avance, entre soi et d’autres personnes pour réaliser une action quelconque. Je vais prendre un exemple extrêmement basique qui est l’achat de pain dans une boulangerie. Pour cela, il faut entrer dans la boulangerie, faire la file d’attente, attendre qu’une vendeuse s’occupe de nous en nous disant « bonjour », attention ce « bonjour » peut varier un peu, il peut y avoir une phrase supplémentaire telle que « que puis-je vous servir » ou bien « que désirez-vous ». Ensuite, je présente ma demande, avec les marques de politesses « bonjour, je souhaiterais une baguette tradition s’il vous plait ». Ensuite, elle me prépare ma commande et m’annonce le prix : « cela coûte 1 euro 10 », je lui donne l’argent puis je prends ma commande et je dis « merci, au revoir », puis je sors de la boulangerie. Pour chaque action que je fais qui nécessite une interaction sociale, je prépare le dialogue, un scénario, que je suis pour avoir l’air naturelle.
Cela vous parait enfantin n’est-ce pas ? Et pourtant, cela ne l’est pas.
Cette simple action peut engendrer un nombre important d’imprévus qui va être à l’origine de beaucoup d’anxiété.
Celles qui me connaissent vont me dire que je ne suis pas anxieuse, que je ne semble même pas avoir d’émotions. Alors, oui, je donne cette impression, cela ne veut pas dire que c’est vrai. Pour principalement deux raisons. J’ai été élevée ainsi à ne jamais montrer mes émotions, je ne devais pas montrer la peur, l’angoisse, l’anxiété, les sentiments, le stress, rien. Alors, j’ai appris. De plus, les quelques fois que je faisais preuve d’émotions, j’ai été très vite moquée. Bien mal m’en a pris. Je ne recommencerai pas. Le problème, c’est que je ne ressens pas les bonnes émotions au bon moment dans le monde social très codifié dans lequel nous sommes. Mes émotions étaient assez mal reçues par mon entourage. La deuxième raison, c’est que j’identifie très mal mes émotions ou bien ce que je ressens. Mes réactions ne sont pas spontanées puisque je dois d’abord réfléchir à ce que je ressens avant de pouvoir l’exprimer. Laissant un temps d’introspection mal compris par l’entourage et de plus, parfois, je me trompe. Déjà que je réagis en retard et en plus, pas comme il le faut, ce n’était socialement pas bien accepté. Le plus simple pour moi était de ne rien montrer. Ce n’était pas le plus dur pour moi et là, pour le coup, j’étais relativement tranquille. Une fois que les gens me disaient que j’étais sans empathie, j’étais sans empathie, donc que je ne réagisse pas cette fois ou bien la fois suivante, cela était cohérent.
Pour revenir à l’exemple de l’achat de la baguette de pain, il y a en réalité plein d’imprévus possibles. Il peut ne plus avoir la baguette de pain que je demande. Il faut vite trouver une alternative, car, généralement, des gens attendent derrière moi et n’ont qu’une envie, c’est que je finisse ma commande, la serveuse peut se montrer impatiente lorsque je cherche une alternative à acheter, je pourrais dire que dans ce cas, je ne commande rien et je prends congé, sauf que j’ai mis beaucoup de temps à comprendre que c’était une alternative possible. Ensuite, la vendeuse peut essayer de me vendre quelque chose en plus « avec cela, qu’est-ce que je vous sers » . Savoir dire que je ne veux rien d’autre, au début, ce n’est pas simple. Je n’avais pas prévu cela dans mon script. Pour la prochaine fois, il faut inclure cette possibilité. La baguette de pain que je veux n’est pas prête, la prochaine fournée sera prête dans vingt minutes, est-ce que je souhaite attendre ? La serveuse peut ne pas s’occuper de la file d’attente et demande à qui c’est le tour et dans ce cas, il faut se manifester, je me suis fait doubler un nombre incalculable de fois, tenir sa place est aussi un apprentissage. De même, il y a plusieurs façons de dire la même chose : « que désirez-vous », « qu’est-ce qui vous fera plaisir », « que puis-je vous servir », « je vous sers quoi », » pour la dame, ce sera quoi », « la même chose qu’hier » et ainsi de suite. Au moment de payer, le prix peut avoir varié, comme tous les ans, alors que j’avais prévu la monnaie exacte, si je fais un achat pour lesquels je pense pouvoir payer par carte et que la machine à carte est en panne, ou bien le montant n’est pas suffisant ou bien dans certain commerce, les cartes de paiement ne sont pas acceptées.
Toutes les alternatives qui ne sont pas prévues dans mon script va me poser un problème et à chaque fois que je rencontre une de ces alternatives, je dois m’en souvenir pour la rajouter pour la prochaine fois. Il y a un apprentissage immense à faire, il me faut parfois plusieurs essais avant de me souvenir d’une alternative qui n’est pas fréquente. Vous allez me dire que, oui, tout le monde doit apprendre les codes sociaux. Sauf que pour les neurotypiques, naviguer entre toutes ces alternatives est naturel. Ce n’est pas le cas pour moi. À chacune de ces alternatives, je dois réfléchir à quelle est la bonne action à prendre, il faut aussi ajouter si cette action est appropriée. Pour chaque nouvelle alternative, c’est de l’angoisse qui arrive, ou bien du stress, je ne sais pas bien s’il y a une différence en réalité, et il y a une action joker, l’action qui est de faire plaisir à l’interlocutrice. Je me suis souvent retrouvée avec ce que je ne voulais pas forcément acheter, jusqu’à ce que l’entrainement soit suffisant pour que j’aie déjà rencontré toutes les alternatives et que je sache comment réagir pour simplement acheter une baguette de pain. Je me suis déjà retrouvée dans la situation farfelue où je réponds à la vendeuse, qui vient de me dire qu’elle n’avait plus de tradition, que « je veux juste acheter du pain », je crois que je n’ai pas osé remettre les pieds dans cette boulangerie. De panique, j’ai demandé le premier truc devant moi dans la vitrine. De même, j’ai mis du temps à comprendre, qu’en France, je pouvais demander une tradition et que la vendeuse me donnait une baguette qui n’était pas étiquetée « tradition ». Évidemment, j’ai demandé si c’était vraiment une « tradition » avec un air suspect. J’ai mis du temps, jusqu’à ce que ma femme me dise que oui, les traditions ne sont pas forcément étiquetées « tradition » dans les boulangeries. J’ai rencontré ma femme à 25 ans. Cela vous donne une idée du temps qu’il m’a fallu pour stabiliser mes scripts sociaux, et là, je ne parle que de l’achat d’une baguette de pain. Je vous laisse imaginer pour le reste. En réalité, je continue en permanence d’enrichir mes scripts sociaux.
Laissez-moi aussi vous expliquer l’anxiété causée par une alternative non prévue dans un script social. La première réaction, dans ma tête, c’est que ce n’est pas prévu. Il me faut déjà du temps pour réaliser que je suis en train de sortir de mon script social. Ensuite, j’essaie de comprendre ce que mon interlocutrice vient de me dire. Vous voyez votre ordinateur, quand il rame parce que vous lui avez donné trop d’instructions à la fois ? Je dois faire cette tête. Une fois que j’ai debuggé, j’essaie de trouver une réponse appropriée, sauf que je ne sais pas sortir des actions que j’ai déjà faites précédemment, pour enrichir mon répertoire d’actions, je dois, soit le voir en observant les autres, soit que quelqu’une me le dise « tu sais, tu as le droit de faire ceci, cela ». Il m’est déjà arrivé de demander à la vendeuse comment je devais réagir. Si jamais vous me voyez en train d’observer d’autres gens faire des actions banales et que vous m’entendez m’exclamer « ah, je peux faire cela ». Je viens de voir une nouvelle action pour enrichir mon répertoire d’actions pour un de mes scripts sociaux. Le problème, c’est que si je n’ai pas d’actions dans mon répertoire de réponses pour la situation sociale dans laquelle je suis, je panique, sans le montrer, mais je panique, intérieurement, et je prends une décision stupide, souvent. C’est là que les vendeuses peuvent me vendre à peu près n’importe quoi. Ce qui m’a longtemps sauvée, c’est que je n’avais pas le budget. Je n’ai eu un salaire décent qu’assez tardivement dans ma vie. Vers mes 33 ans. Plus d’une fois, je me suis retrouvée sortie de la boulangerie, sans pain alors que je voulais vraiment du pain. Donc, je suis allée à la boulangerie suivante. Une chance qu’à Paris, ce ne sont pas les boulangeries qui manquent.
Vous voulez que je vous explique mon script, absolument pas abouti, pour acheter des vêtements ? J’ai trouvé une parade, quand ma femme trouve que mes vêtements sont trop troués et complétement informes, elle m’en achète d’autres. Autisme de niveau 1, avec nécessité d’un soutien léger, ne veut pas dire une absence de soutien. Vous vous rendez compte ? En fonction de son âge et de sa classe sociale, il faut aller dans telle ou telle marque de vêtement, mais vous faites comment pour savoir tout cela ? Décathlon, c’est pas cher et confortable et les vendeuses ne viennent pas nous parler, mais je ne ressemble à rien, et je m’en fiche.
Vous savez que dire « bonjour » dans un groupe, c’est super compliqué ? À quel moment faut-il dire « bonjour » ? Comment faut-il dire bonjour ? Faut-il sourire ? Faut-il regarder dans les yeux ? Faut-il le dire en même temps que l’autre, un peu avant, un peu après ? Dans quel ordre faut-il dire bonjour lorsqu’il y a plusieurs personnes ? Faut-il dire bonjour à tout le monde dans la pièce ? A quel point faut-il se présenter à chacune des personnes présentes ? Quel type et quelle quantité d’informations sur soi faut-il donner ?
Pour vous donner un autre exemple, je suis en vacances, et je veux m’acheter une pastèque dans une supérette. Cela n’a rien de simple en réalité, il faut entrer dans la supérette, que je ne connais pas, chercher une pastèque qui me plait, demander son prix et décider si je la prends ou pas. Cela fait trois jours que je suis arrivée, je n’ai toujours pas acheté ma pastèque.
Acheter des vêtements, acheter des tickets, recevoir un appel téléphonique, passer un appel téléphonique, s’inscrire à l’université, s’inscrire quelque part, réserver une place, faire connaissance avec de nouvelles personnes, changer de travail, s’inscrire dans un club de sport, demander son chemin, se positionner dans une pièce, attendre dans une salle d’attente. Se déplacer aussi entre dans le script social, comment faut-il venir, je vais prendre tel et tel chemin et je serais particulièrement perturbée si le chemin que je veux prendre est bloqué pour une quelconque raison, et cetera et cetera. Le problème aussi, c’est que je ne suis pas capable de transposer mes connaissances acquises quelque part, ailleurs. Vous pourriez vous dire, je sais m’inscrire dans une université, je l’ai déjà fait. Sauf que m’inscrire dans une autre université, c’est un autre bâtiment, ce sont d’autres personnes, ce sont d’autres formulaires, ce sont d’autres guichets, ce sont d’autres filières, d’autres prérogatives et ainsi de suite. Le savoir n’est pas transposable pour moi, ce qui rend le travail d’apprentissage obligatoire pour chaque action. S’il y a un protocole à suivre, cela me simplifie énormément la vie.
Une fois que j’ai réussi à faire une séquence de choses qui me conviennent, par exemple : m’installer dans un café, commander un café, passer du temps à moi, à rêvasser, à lire un livre, à écrire sur mon blog, j’ai tendance à refaire encore et toujours la même chose, car je sais ce qui va se passer, je sais ce qu’il faut faire, je peux dérouler un script que je connais déjà sans qu’il y ait des imprévus. La serveuse me connait, je sais ce qu’elle va dire, je sais ce que je vais commander, je sais quelle est la procédure pour payer ma consommation, je sais où se trouve la caisse enregistreuse, si pour tel montant, je peux payer en carte ou bien si je paie en espèce, je sais que je peux m’installer à cet endroit sans que cela ne pose problème, et savoir tout cela me rassure. Je déteste avoir le sentiment de gêner quelqu’une d’autre. Les routines sont rassurantes.
Je me doute bien que vous vous dites que j’exagère, de plus, vous m’avez déjà vu faire telle et telle chose, que j’ai l’air sûre de moi et forcément, je dois dramatiser. Non, à chaque fois, je me fais violence. Par exemple, j’ai récemment changé de travail, j’ai inclus dans mon script « faire connaissance avec les collègues » une rencontre avec chaque membre de mon équipe pour me présenter sous la forme d’un 1:1. Cela représente un coût incroyable pour moi. L’avantage, c’est que là, j’ai pu utiliser le même script pour chaque personne de l’équipe, je raconte la même chose, je pose les mêmes questions, et pour le reste je galère, je n’oublie pas de sourire, de faire un savant jeu de va-et-vient pour regarder dans les yeux et d’avoir l’air sympathique. Je suis tellement concentrée pour avoir l’air normale que je suis incapable d’écouter ce que vous me dites. Ce qui va être difficile ensuite, c’est de gérer les relations sociales avec chaque collègue sachant que je suis censée savoir ce qu’ils et elles m’ont dit pendant ce 1:1 de présentation. En même temps, je raconte sur mon blog, public, dont mes collègues ont le lien, que je n’ai rien capté à ce qu’elles m’ont raconté. Il va falloir que je révise ma stratégie.
Cela dit, tout cela, je comprends que vous ne comprendriez pas.