Pourquoi vouloir un diagnostic d’autisme
Il est mignon le panda de Beauval.
Avoir un diagnostic d’autisme, le vouloir ou tout simplement être autiste. En réalité, ce n’est pas quelque chose que je choisis. Je suis autiste, c’est tout. Libérée, délivrée, maintenant, je le sais. Toute parodie de chanson est fortuite.
Pour cocher un certain nombre de cases dans la pyramide de l’intersectionnalité, je sais très pertinemment qu’il y a des choses dans la vie que nous ne choisissons pas et que les ignorer n’est en rien bénéfique pour soi. Être soi, s’accepter, c’est vraiment le meilleur choix. A contrario, se cacher, faire semblant, c’est à la fois épuisant et stupide, sauf que…
Les gens ne sont pas « out » parce qu’elles ont envie de se cacher, mais parce que la société les force à se cacher, parce que la société est maltraitante envers celles qu’elle juge différentes. La société n’est pas inclusive. Je me souviens d’une discussion avec ma femme avec laquelle je disais que les gens excluent, les gens discriminent, les gens se moquent de celles qui sont différentes.
Nous disons toujours que les enfants sont cruels, qu’ils tapent, qu’ils moquent, parce que les enfants ne savent pas cacher la cruauté humaine, les adultes sont tout aussi cruels, ils veulent se faire passer pour des gens bien et se cachent derrière une fausse bienveillance, en réalité, ils continuent de taper, même si ce n’est plus physique, c’est verbal, ils continuent de se moquer, d’exclure et de discriminer en se cachant derrière le sacro-saint « on ne peut pas être amie avec tout le monde », ironique pour quelqu’une qui ne sait pas garder ses amies. Dans une société aussi peu bienveillante, aussi peu inclusive, je comprends que des gens se cachent et veulent paraitre comme toutes les autres. Faire semblant pour mieux s’intégrer. Dans la loi française, il est même prévu la francisation du prénom et du nom pour éviter les discriminations. Nous allons à l’école de la reproduction sociale où les classes ne se mélangent pas, nous nous marrions entre personnes de la même classe, nous rions des blagues sur les autres. Nous sommes la société. Ce ne sont pas que les autres.
Je suis contente de ne pas voir la différence chez les gens, de ne pas me rendre compte si elles sont de bonnes ou de mauvaises personnes, de ne pas m’apercevoir de leurs bizarreries, de leurs différences, je suis heureuse de pouvoir parler à n’importe quelle humaine sans discrimination, parfois à mes dépens. Je suis ravie de voir que je ne peux pas juger les gens à leur apparence ou bien à leur comportement. Tout cela, je ne le vois pas et j’en suis très satisfaite. Être naïve est une certaine candeur qui manque à tout le monde.
Si à vos yeux, j’ai l’air normale, c’est au prix de grands efforts de ma part. C’est grâce, ou à cause, d’un intense camouflage que j’ai affiné avec le temps. Je vous laisse lire mes autres articles sur le camouflage si cela vous intéresse. Camoufler, ou masquer, ce n’est pas gratuit, c’est un énorme effort de ma part qui a un prix, un coût important pour moi. C’est à cause de cela que je peux faire des crises autistiques. Même si, la majorité du temps, mes shutdowns passent inaperçus, cela veut dire que j’ai atteint les limites de ce que je peux supporter en termes d’interaction sociale. C’est l’ultime mécanisme de défense que mon corps met en place pour me protéger. Cela veut dire que je suis allée au-delà du dernier signal d’alarme, car mon corps a coupé toutes mes capacités cognitives pour me protéger. Pour vous, j’aurai juste l’air de rêvasser, silencieuse, tranquillement assise dans un coin de la pièce, vous vous direz peut-être que je ne suis pas bavarde, que je ne m’intéresse pas à ce que disent les autres. Sûrement, je paraitrai distante. Ensuite, j’irai certainement me retirer dans ma chambre ou bien, je partirai pour rentrer chez moi. Vous ne verrez rien, sauf que j’ai atteint mon épuisement social. Si vous me parlez à ce moment, cela va très mal se passer, je vais vous envoyer balader sans aucune précaution verbale, sans aucun ménagement quelconque. Vous ne comprendrez pas ce qui se passe. J’aurais juste l’air d’être anormalement brutale. Cela peut vous sembler exagéré, cela peut vous faire rire, sauf que c’est la réalité de toutes personnes autistes. Une réalité que l’écrasante majorité des gens, les neurotypiques, ne connaissent pas. L’éducation sur l’autisme est catastrophique, vous pensez assurément qu’il y a un autisme typique et que c’est le personnage de Rain Man. C’est totalement faux. Quand vous rencontrez une personne autiste, vous avez rencontré une personne autiste. C’est un spectre parce que chaque personne autiste est différente.
Tout cela forme déjà une raison solide de vouloir savoir que je suis autiste, de vouloir savoir que je ne suis pas dans la norme, de savoir que la société va encore me juger pour une énième différence. Quand les gens me demandent pourquoi je veux un diagnostic d’autisme alors que j’ai l’air normale, que j’ai un travail, une famille, des enfants, que je m’en sors bien dans la vie et ne comprennent pas pourquoi je voudrais une étiquette pathologisant en plus, c’est que quelque part, ces gens ne voient l’autisme que comme une tare dont il ne faudrait surtout pas s’approcher. Si vous m’appréciez aujourd’hui, vous m’apprécierez demain aussi, car avoir un diagnostic d’autisme ne va pas me changer, j’ai toujours été autiste, sauf qu’aujourd’hui, je le sais, je vais pouvoir mieux adapter ma vie, arrêter de forcer sur certaines choses, être plus heureuse, plus en accord avec moi-même, mieux répondre à mes besoins. Si vous ne m’appréciez pas, vous continuerez de ne pas m’apprécier. Et cela me va très bien.
De plus, il y a plusieurs raisons pour lesquelles je veux un diagnostic d’autisme.
Récemment, j’ai eu quelques revers, professionnellement, et qu’à chaque fois, mes managers m’ont dit que techniquement, cela allait très bien, j’apprends vite, je travaille sérieusement, mais, parce qu’il y a un gros mais, ma communication pose un problème. Incapable de lire le langage non verbal, je suis incapable de comprendre quelle était leur attitude à ce moment. Il y avait chez moi quelque chose qui n’allait pas, sauf qu’ils ne savaient pas ce que c’était. Il faut « ajuster » comme ils disent. Ajuster, mais qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire ? Je vous rappelle que je suis incapable de lire entre les lignes de vos propos. De plus, avec l’expérience, je me suis rendu compte que les attentes des unes et des autres pouvaient être très différentes derrière exactement la même requête. Il faut faire ceci comme cela, sauf qu’en fonction de la personne qui demande, le « comme cela » peut considérablement varier. En conclusion, je suis incapable de m’adapter à leur demande.
Quand j’arrive dans une entreprise, j’ai besoin de temps pour apprendre à la fois l’entreprise, les procédures, les méthodes de travail, le produit, la nouvelle stack technique, les nouveaux outils, le nouveau langage de programmation si je change de langage de programmation, le nouvel environnement de travail et surtout, j’ai besoin d’encore plus de temps pour apprendre les gens qui sont au travail, leurs us et coutumes. Cela, je le fais pour tout endroit où je vais, parce que je mets un certain temps à apprendre les gens, à apprendre quelles sont leurs attentes, à apprendre quels sont les codes sociaux en vigueurs, à apprendre leur façon de communiquer, à apprendre les gens. Apparemment, environ 99% de la population auraient la capacité innée de savoir cela instamment. Je trouve que c’est un peu de la triche. C’est pour cela, que les premiers mois, voire la première année, je passe pour quelqu’une de très silencieuse au travail. En réalité, je vous observe et je vous apprends.
Ne sachant pas que j’étais autiste et dans ma naïveté habituelle, j’étais incapable de comprendre ce qui n’allait pas. Si vous me dites d’ajuster sans me dire exactement ce qu’il faut ajuster, je suis incapable de deviner ce qu’il faut ajuster. Et cela, ça énerve les managers, et moi, je suis incapable de bien travailler si mon manager est énervé après moi, au contraire, je vais même « sous-performer ».
Je sentais bien qu’il y avait un problème alors, j’ai cherché. Je ne vais pas répéter ce que j’ai mis dans mon article sur mon eurêka autistique, je vous mets le lien ici. Maintenant, vous devez comprendre pourquoi avoir un diagnostic d’autisme me sera utile.
Dire que je suis bizarre, dans le milieu de l’informatique, c’est un peu dire que je suis un poisson au milieu des autres poissons, dans l’eau. Pour des gens qui se revendiquent différents, dire que je suis différente, c’est comme ne rien dire. Ils ne vont pas comprendre en quoi j’ai des problèmes. Si désormais, je leur explique qu’il me manque une nageoire, les autres poissons vont comprendre que j’ai plus de mal pour nager. Sauf que dans le cas de l’autisme, sans un diagnostic « officiel », c’est un peu crier au loup sans que les villageoises voient le loup, personne ne me croit, mais le loup est bien là, c’est juste que les autres ne le voient pas. Je fais une pause, je fais trop d’analogie là, je suis mentalement épuisée. Je plaisante, je continue. Avec un diagnostic, c’est un peu comme si j’avais une photo du loup en train de manger un mouton avec la bergère qui prend sa carabine pour chasser le loup. Oui, tout ça sur la même photo. Cette fois-ci, j’ai la preuve qu’il y a un loup ! Ahaha bouh !
Être en processus de dépistage pour autisme ou obtenir un diagnostic pour autisme, c’est aussi revisiter toute sa vie et comprendre pourquoi toutes les fois auparavant, les choses se déroulaient ainsi. C’est se revoir à l’aune de l’autisme, cela donne une nouvelle perspective de soi avec beaucoup plus de compréhension. Ces temps-ci, dans ma tête, je suis en mode « ah, c’est pour ça » que ceci ou que cela. Ah, c’est pour ça que quand j’étais adolescente, j’étais souvent avec mes camarades, mais je ne parlais presque pas, ah mais en fait j’étais en shutdown, ah nous étions plus que trois dans le groupe donc j’arrêtais de parler, ah c’est pour ça qu’en primaire les autres disaient que je parlais comme un robot, ah c’est pour ça que je répétais les phrases des autres, ah c’est pour ça que je n’écoutais pas les consignes de groupe, ah c’est pour ça que je n’aime pas les boites de nuits avec un volume sonore à réveiller les mortes, ah c’est pour ça que je suis radicalement honnête et que ça fâche les autres, ah c’est pour ça que je ne sais pas garder les relations amicales sur le long terme, ah c’est pour ça que je me plonge dans un intérêt spécifique et qu’il n’y a plus rien d’autre qui existe, ah c’est pour ça que je trouve les blagues pas drôles, ah c’est pour ça que les enfants me trouvaient bizarre, ah c’est pour ça que les enfants se moquaient de ma façon de parler, ah c’est pour ça que je faisais des stéréotypies mais comme les autres enfants se moquaient de moi, je m’empêchais de les faire, ah c’est pour ça que je prenais tout au premier degré, ah c’est pour ça que je demandais à ma mère d’enlever les étiquettes de mes vêtements, ah c’est pour ça que je voulais que des vêtements confortables peu importe le style, ah c’est pour ça que je préfère discuter avec les gens sur internet plutôt qu’en vrai, ah c’est pour ça que je ne sais pas m’insérer dans une discussion, ah c’est pour ça que je changeais constamment de travail, ah c’est pour ça que j’ai fait une grosse dépression, ah c’est pour ça que j’ai vu une orthophoniste quand j’étais enfant, ah c’est pour ça que je m’ennuyais autant à l’école, ah c’est pour ça que je ne comprenais pas les consignes en classe, ah c’est pour ça que j’ai plein de malentendus avec les gens, ah c’est pour ça que.
Et ainsi de suite, plus je fouille dans ma mémoire et plus il me revient des souvenirs que je comprends mieux maintenant. Comme l’ALD pour ma sarcoïdose, avoir un diagnostic d’autisme, c’est obtenir la reconnaissance du corps médical, bénéficier des différents dispositifs mis en place par le gouvernement, avoir des adaptations au travail, avoir un diagnostic, ce n’est pas qu’avoir une étiquette autiste, c’est aussi avoir tout ce qui accompagne la prise en charge des personnes autistes, bénéficier de tout le système de soin français.
Toute ma vie, j’ai compensé, j’ai camouflé et je suis arrivée à un point où je n’arrive plus à compenser. Auparavant, cela fonctionnait, et encore, et si je veux continuer de progresser professionnellement, je dois respecter mes limites et adapter mon environnement de travail.
Évidemment, obtenir un diagnostic, c’est aussi la validation par un tiers qui est plus objectif, qui est formé à diagnostiquer, qui a de l’expérience sur le sujet. Être seule face à son auto-diagnostic, c’est laisser de la place à de l’incertitude, à une marge d’erreur.
Je ne veux pas pour autant invalider toutes les personnes qui considèrent qu’un auto-diagnostic leur suffit. Je me dis que si cela leur convient, c’est très bien ainsi. Il faut se rendre compte que la démarche diagnostic n’est pas anodine, c’est le risque de faire face à un système soignant maltraitant, à des psy qui ont des théories attardées, et se relever de cela est extrêmement difficile. Inévitablement, cela fait peur, c’est angoissant. L’errance médicale est difficile à vivre. Tant qu’il n’y a pas un besoin impérieux d’un diagnostic médical, l’auto-diagnostic est complètement suffisant et jamais je ne remettrais en question une personne qui s’auto-diagnostic autiste ou neurodivergent. Pour bien connaitre les discriminations et la pression de la société, je sais que le processus diagnostic peut être terriblement difficile et douloureux, il n’est pas facile de naviguer dans le système de soin français, mes autres articles dans mon blog le prouvent. Il est parfaitement légitime de ne pas oser arpenter ce chemin.