Spoonies

Une part de notre identité

Il faut un certain temps avant de réfléchir à l’impact d’une maladie chronique sur son identité. Il est fort peu probable qu’avec une maladie aigüe, vous poussiez vous dire que la maladie fait partie de vous, de ce qui vous définit. Si vous avez une grippe, vous n’allez probablement pas vous présenter comme une personne dont la grippe est une composante importante de vous-même. La grippe est temporaire et dans quelques jours, vous l’aurez oubliée. La grippe ne vous définit pas. En revanche, lorsque la maladie est chronique, elle devient une composante de vous-même, elle est une part de vous-même. Vous allez me dire que c’est encore une histoire de nuance de gris, que selon les cas, l’impact est plus ou moins important. Cela est vrai.

Une maladie qui s’impose à vous tous les jours, sans répit, sans repos, sans discontinuité, une maladie qui vous oblige à prendre un ou des traitements, une maladie qui impacte tous vos domaines de vie, devient une part de soi. Lorsque je dis une maladie, cela peut être en réalité des maladies. Elle est tellement présente, elle est tellement envahissante que vous vous présentez comme malade chronique, ne serait-ce que pour expliquer le traitement médical dont vous ne pouvez pas vous cacher, dont il ne faudrait pas avoir honte. Évidemment, le handicap qu’induit la maladie ou bien ne serait-ce que la maladie en elle-même peut vous rendre sujet à discrimination. C’est pour cela que les malades chroniques cachent plus souvent leur maladie plutôt que de jouer les malades imaginaires. De plus, les gens n’aiment pas celles qui se plaignent. Ils aiment les héros, les dépassements de soi, les leçons de vie, les gens n’aiment les malades imaginaires et nous devenons rapidement, à leurs yeux, des malades imaginaires, surtout si la maladie est invisible.

L’expérience me fait dire que si vous n’êtes pas concernées, vous ne savez pas ce que c’est. Tant que vous n’avez pas connu une certaine situation, vous n’êtes pas en mesure de comprendre cette situation. Alors, ne cherchez pas à soigner nos maladies lorsque nous vous en parlons, premièrement, vous en êtes bien incapables, deuxièmement, nous voyons déjà une ribambelle de médecins spécialistes pour nous prendre en charge. Croyez-moi, si elles ne peuvent pas nous soigner, vous non-plus. C’est le principe des maladies orphelines.

Avec le temps, une routine s’installe, nous apprenons à être malade. Être malade chronique est quelque chose qui s’apprend. Nous apprenons à gérer nos rendez-vous médicaux avec nos obligations personnelles et professionnelles. Nous apprenons à gérer nos traitements. Nous apprenons à discuter avec les médecins. Nous apprenons à connaitre nos nouvelles limites, celles que la maladie nous impose à cause de la fatigue, à cause de la douleur et à cause des autres handicaps liés à la maladie. Nous apprenons à reconnaitre les symptômes et à les associer à des causes, nous apprenons à voir les signes parce que les médecins ne prennent en compte que les signes. Nous apprenons à présenter notre maladie à autrui, nous apprenons à la montrer et à l’expliquer et nous apprenons à la cacher quand c’est nécessaire. Nous apprenons les discriminations qui sont liées à la maladie, c’est la dure réalité, être malade est une source de discrimination. Nous apprenons à faire l’administratif liée à la maladie, obtenir une ALD, la faire renouveler, demander une RQTH, une AAH, les cartes de priorités. Nous apprenons à nous organiser avec la maladie, elle fait partie de notre quotidien, elle vient avec nous en vacances, au travail, chez la famille, la maladie nous suit partout, nous devons donc préparer nos médicaments, nos traitements et adapter nos activités en fonction de notre maladie. Nous apprenons à endurer notre maladie, il est impossible de vivre en se roulant de douleur parce que nous avons très mal, nous avons très mal, mais nous ne le montrons plus. Cela s’apprend. Tout cela s’apprend et cela prend des années pour l’apprendre. Comme toute chose, nous apprenons en continu. Il faut aussi apprendre à militer, notamment, pour faire respecter nos droits en tant que malade chronique. J’oublie certainement pleins d’autres choses à apprendre.

Si vous faites des études de droit, de médecine ou bien de mathématiques, vous allez vous présenter comme juriste ou avocate, comme médecin ou bien encore comme mathématicienne. Pour les malades chroniques, c’est pareil. Nous apprenons à être malade chronique et cela devient une part de nous.

Il m’a fallu du temps avant de me considérer comme malade chronique ou bien comme handicapée, Quel que soit le degré de mon handicap. L’annonce du diagnostic est à la fois un soulagement et un choc. Un soulagement d’avoir enfin un diagnostic et le choc de savoir que nous avons une maladie incurable. Avec le temps, la maladie chronique s’est aussi infiltrée dans mon identité. Être malade est devenu une part de mon identité, je considère que cela me définit en partie. Vous trouverez des gens malades chroniques qui vous diront l’inverse, ils vous diront que la maladie ne nous définit pas. C’est vrai, nous ne sommes pas que malades chroniques, mais dans notre identité, il y a la maladie chronique. Quelles sont les informations que vous donnez lorsque vous vous présentez, vous pouvez dire votre âge, votre genre, votre lieu d’habitation, la ou les langues que vous parlez, les origines ethniques, vos études, votre profession, si vous avez des enfants et tout ce que vous voulez et vous adaptez en fonction de la personne à qui vous vous présentez. Pour les malades chroniques, c’est pareil, parfois, nous le disons et parfois non, nous nous adaptons à notre interlocutrice.

Avec le temps, prendre en compte notre maladie chronique est devenu naturel. Les jours qui détonnent sont les jours où tout va bien. Seulement, tout le monde n’est pas dans nos chaussures, à vrai dire, il n’y a même personne d’autre que nous. Pour notre entourage, pour nos amis, pour notre famille, pour nos collègues, prendre en compte nos limites à cause de la maladie est rare, voire inexistant. Il y a quelque chose de rageant et de décevant dans tout cela. À chaque fois, je me dois me rappeler que toutes ces personnes sont naïves, dans le sens où elles ne connaissent pas cela et que pour elles, cela n’existent pas. Ce n’est qu’une gène dans la relation qu’elles entretiennent avec nous. Elles veulent profiter de nous, sans que la maladie interfère dans la relation. Cela est évidemment impossible. Il est parfois plus facile de changer de relation que d’essayer d’expliquer à des gens qui vous ont connu avant, ce que la maladie a changé. Si quelqu’une vous connait alors que vous êtes déjà malade, alors elle considérera que la maladie fait partie de vous, ce qui ne sera pas le cas de quelqu’une qui vous a connu avant la maladie, dans le cas où vous n’êtes pas malade depuis toujours.