Spoonies

En mon corps défendant

J’aime bien mettre des fleurs en image d’article sur mon blog. Pourtant, c’est plutôt étonnant de ma part, je n’apprécie pas spécialement les bouquets de fleurs ou les plantes, en revanche, j’aime photographier les fleurs lorsque je les croise. Les fleurs sont belles qu’un court instant, ensuite, elles fanent, j’aime cette éphémérité, capturer cet instant où la fleur est à son pinacle.

Est-ce que vous vous trouvez séduisante, jolie, attractive ? Avez-vous confiance en vous, en votre corps pour vous emmener aussi loin que vous le souhaitez ? Remettez vous en cause votre corps et votre image narcissique. Il est important d’être à la fois en bonne santé, et je dirais même, d’être en forme ainsi que d’avoir une bonne image narcissique de vous-même. J’ai eu cela auparavant. J’étais très sportive, je faisais beaucoup de sport : de la natation – j’ai passé le diplôme pour surveiller les piscines – , du roller, du badminton, de l’escalade, j’ai aussi fait de la plongée, du ski, du surf, de la planche à voile et tant d’autres sports. J’étais très endurante, je faisais confiance à mon corps pour une randonnée en montagne, faire une course à pied, encaisser des chocs en cas de chutes. En revanche, je n’ai jamais eu une image narcissique très forte sur mon apparence physique. En ce qui concerne mes capacités intellectuelles, j’ai la chance d’avoir une bonne image narcissique, même si cela n’a pas toujours été le cas. Cela ne veut pas dire que je suis plus intelligence, cela veut dire que je suis satisfaite de mon intelligence, que j’ai confiance en elle. En revanche, pour le reste, vous vous en doutez, je ne suis pas vraiment satisfaite de mon corps, je ne lui fais plus confiance.

Disons que j’ai plus ou moins toujours eu des problèmes de santé et que je n’ai jamais aimé mon corps. Je voulais qu’il soit autrement. Il y a des choses de la vie que je ne pourrais jamais expérimenter, il y a des choses de la vie que je ne connaitrais jamais. Nous n’avons pas toujours tout ce que nous voulons dans la vie. Je pourrais vous dire que je suis une femme et que j’ai l’habitude de ne pas avoir tout ce que je veux. Tout de même, avoir une maladie rare, chronique et orpheline dans sa trentaine, c’est un sacré manque de chance dans la vie. Il y a pire, il y a toujours pire, ce n’est pas parce qu’ailleurs, il y a pire qu’il faut arrêter de vouloir mieux pour soi-même ou que cela diminue sa peine. Malgré cela, grâce aux médicaments, je peux fonctionner, j’ai cette chance, parmi les personnes malades chroniques, de pouvoir continuer à vivre presque normalement.

Je me suis aperçue que depuis que je suis malade, je ne vois plus mon corps de la même manière. J’entends souvent les médecins dire que pour les patientes, il est difficile d’avoir un corps malade, d’être un corps et des organes avant tout. Il n’y a pas son âme et son corps, mais un corps, et si ce corps est malade, alors l’être entier est malade. Si un organe cesse de fonctionner, le corps s’arrête aussi et le « soi » s’arrête aussi. Nous sommes nos corps et nos corps peuvent défaillir. Mon corps défaillit.

Tous les jours, j’ai mal. Tous les jours, je dois prendre des opiacés pour fonctionner. Je ne pense plus à mon corps comme à un potentiel objet de séduction, je ne me pose plus la question de savoir si je suis attirante, je ne fais que lutter contre la douleur, la fatigue, les maladies, les nausées et tous les autres tracas qu’apportent la maladie et les médicaments.

Avec le traitement que je prends, mes os se sont déminéralisés, j’ai une ostéoporose. Avec les médecins, nous nous en sommes aperçues, car avec des chutes anodines, je me casse des os. Je dois faire attention à ne surtout pas tomber pour éviter de me casser un os.

Récemment, nous avons fait une sortie avec les enfants à Beaubourg, lors de la visite, je me suis sentie mal. J’avais besoin de m’asseoir, de me reposer. Ma femme m’a fait remarquer que dorénavant, à chaque fois que nous faisons une sortie où je ne peux pas m’asseoir régulièrement, je ne me sentais pas bien.

Parfois, j’ai des douleurs qui m’empêchent de respirer, je désature à 93% et je vais aux urgences où ils me gavent d’encore plus d’antidouleurs. Comme vous le savez, avec le démantèlement des services publics, les hôpitaux ont de moins en moins de capacité d’accueil. Alors, je dois rentrer chez moi avec un peu plus antidouleurs que ce que j’ai déjà plutôt que de rester à l’hôpital une nuit en observation. Cela peut survenir n’importe quand. Je ne sais pas si cela vous est déjà arrivé d’avoir du mal à respirer à cause de douleurs trop fortes, mais je peux vous dire que c’est effrayant.

Je le dis souvent, parmi toutes mes douleurs, les douleurs au visage sont particulièrement terribles. Lorsqu’elles sont là, je suis obligée de me « shooter » avec mes antalgiques pour pouvoir tenir le coup. Généralement, ce sont des jours où je ne suis pas très productive pour quoi que ce soit.

Avec ces quelques exemples, vous pouvez vous douter que je ne fais plus confiance à mon corps, il peut défaillir. Si je me déplace, si je fais quoique ce soit, je dois penser à cela, à ce corps qui peut défaillir. Est-ce qu’il y a un hôpital pas trop loin de là où je suis ? Si je vais mal, est-ce que des gens peuvent s’occuper de moi ? Est-ce que j’ai bien pris mes médicaments, ces médicaments qui me soignent et m’abîment en même temps ?

Je ne pense plus du tout à mon corps comme un objet de séduction, mais comme une source d’ennuis. Est-ce que quelqu’une d’autre peut être attirer par ce corps, ce corps malade, ce corps qui peut défaillir. Est-ce que je suis jolie ? Est-ce que je plais encore ? Ce sont des questions que toute personne peut avoir. Ce sont des questions que je ne me pose plus. Certaines diront que ce sont des questions qui, inexorablement, surviennent avec l’âge. En ce qui me concerne, ce n’est pas l’âge qui m’a amenée à ces questions, c’est bel et bien la maladie.

Aujourd’hui, je suis une maman qui essaie de gérer le quotidien et de faire sa carrière. En plus de cela, je dois gérer ma maladie. Tous les jours, mon corps défaillant se rappelle à moi, il me montre que je suis malade. Il n’y a plus de séduction, il n’y a plus de sexualité, il n’y a que la douleur qui devient insupportable si j’oublie de prendre mes antalgiques.

Qu’est-ce que cela me fait de ne plus penser à mon corps comme un objet de séduction, mais comme à un corps malade ? Cela va sans dire que j’aimerais ne plus être malade, de ne plus avoir besoin de prendre ces médicaments, de ne plus subir toutes ces douleurs. J’aimerais séduire, j’aimerais pouvoir rentrer dans le jeu de la séduction. Je regrette ce passé sans maladie. Cela me rend, quelques fois, nostalgique d’une période où je pouvais m’amuser, où j’avais envie de m’amuser, où je plaisais à d’autres. J’aimerais penser à mon corps comme à un potentiel à possibilités, une fuite vers l’avant, vers l’aventure, là où me mènera l’aléa de la vie et que mon corps soit complice de ces entreprises. J’en veux à mon corps, je m’en veux de ne pas être en bonne santé, pourtant, c’est ridicule, je n’ai pas choisi d’être malade, je n’ai pas le choix, ce n’est pas la faute de mon corps ou la mienne si je suis malade, je suis malade, c’est un fait, mon corps n’y peut rien, je n’y peux rien. Toutefois, tant de choses ne sont plus possibles. Je ne peux plus avoir cette insouciance d’aller là où la vie m’emmènera, désormais, je dois prévoir, je dois anticiper, je dois faire attention, je dois me ménager, je dois prévenir, je ne peux plus aller de l’avant avec légèreté et insouciance comme autrefois.

Je dois faire le deuil de mon moi d’avant et du moi que je ne serai jamais.