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Routines et rigidité mentale

Dans le cadre de l’autisme, les routines, qu’est-ce que c’est ?

Pour les allistes, les routines sont plutôt le fait de faire les choses selon un emploi du temps fixe. Par exemple, se lever à telle heure, puis prendre le même petit déjeuner à telle heure, et ainsi de suite pour toutes les actions de la journée. Tout cela selon un calendrier fixe et qui se répète soit tous les jours, soit toutes les semaines soit à une fréquence déterminée.

Les routines dans le cadre de l’autisme peuvent comprendre la définition des allistes, mais j’ai l’impression que c’est plutôt la manière de faire les choses qui doit être routinière. C’est faire les choses de la même manière. Par exemple, je n’ai pas de routines qui consiste à suivre un calendrier ou un horaire pour réaliser les différentes actions que je fais. En revanche, la plupart de mes actions, je les réalise en suivant une routine. Par exemple, ma façon de me laver les dents est tous les jours la même. J’utilise le même type de brosse à dent, une brosse avec des poils doux, j’utilise le même dentifrice. Je brosse les dents toujours dans le même ordre, puis je me rince la bouche, deux fois, puis je passe une brossette interdentaire, encore une fois je respecte un ordre précis, puis je me rince la bouche une fois, puis je fais un bain de bouche. Ceci est la routine pour me laver les dents. Je me lave les dents toujours en suivant très exactement cette procédure. En revanche, je peux me laver les dents juste après un repas ou bien une heure après un repas, ou bien juste avant d’aller me coucher. Je n’ai pas de routine tel qu’un horaire à suivre dans la journée. Je ne me lave pas les dents tous les jours à 21H30 précise. Je ne fais pas tous les jours la même chose et en réalité, mes horaires ne sont pas très fixes. Il n’y a que l’heure des repas qui sont dans des créneaux horaires que j’aime respecter. Le reste n’a pas forcément d’horaire. Par exemple, je peux me lever à 4H00 du matin comme à 11H00. Principalement parce que je ne dors pas très bien.

La routine, c’est faire une même action de façon rigoureusement identique. La routine apporte un sens de prédiction, je sais ce que je vais faire et comment je vais le faire et ce qu’il va se passer pour obtenir le même résultat. La routine permet d’obtenir un résultat identique à travers la répétition. Tout comme je l’explique dans mon article sur les scripts sociaux, la routine va m’éviter de l’anxiété, de freeze ou de prendre de mauvaises décisions. Je n’ai pas de surprises, et par conséquent pas de mauvaises surprises.

Mes routines sont alors des stratégies pour gérer ma vie du mieux que je le peux, afin de respecter mes sensorialités et mes besoins et surtout m’éviter de l’angoisse et divers problèmes.

La différence entre ce que j’appelle mes routines et mes scripts sociaux, c’est l’implication de personnes tierces. Soit c’est quelque chose que je fais sans personne, dans ce cas c’est une routine, soit il y a d’autres personnes, et dans ce cas, je vais utiliser mes scripts sociaux et il peut y avoir une routine associée. Le fait qu’il y ait d’autres personnes rend la répétition et la prédiction de l’action très incertaines. Il est alors difficile de parler de routine. Peut-être que dans mon cas, le diner familial du soir suit une routine. Ma famille sait que le diner se déroule de telle manière et suit le protocole tous les soirs et y est habituée. Là où la routine va être mise à mal, c’est lorsque les membres de ma famille viennent casser ma routine en voulant dévier du protocole habituel. Pour ma femme et mes enfants, dévier de ma routine est quelque chose dont elles ne s’en rendent même pas compte alors que moi, cela va m’agacer. Dans le titre il y a « rigidité mentale » parce que je n’aime pas quand ma routine est interrompue ou modifiée. Je vous laisse revoir l’extrait de la série télévisée The Big Bang Theory lorsque Amy essaie d’apprendre à Sheldon d’accepter l’interruption des actions qu’il fait. C’est, certes, très caricatural parce que c’est une série télévisée, mais je trouve qu’il y a, malgré tout, un vrai fond de vérité dans cet extrait.

Je me rends compte que ma routine du diner avec ma famille pourrait être juste un script social et je n’aime pas quand cela se déroule d’une autre manière que dans mon script social. J’avoue que j’ai un peu de mal à tracer la limite entre le script social et la routine. Peut-être qu’il faut juste considérer que s’il y a d’autres personnes, c’est un script social et si je suis seule c’est une routine. Sauf que voir d’autres personnes ne pas faire quelque chose comme je le veux peut me poser des difficultés. La limite ne me parait pas si claire que cela.

Comment j’établis une routine ?

Comme tout le monde, je ne suis pas née avec tout un tas de routines. Il a bien fallu que je les mette en place. A chaque fois que j’ai une nouvelle action à réaliser, quelle qu’elle soit, je dois établir un protocole, un script, un scénario, que je vais répéter dans ma tête avant d’agir. Hé oui, c’est épuisant de devoir constamment réfléchir à tout ce que je fais au préalable. Au fur et à mesure que je vais répéter cette action, je vais adapter mon protocole jusqu’à ce que ce protocole me plaise. Cela veut dire que pendant un certain temps, je vais tenter quelques alternatives pour tester diverses manières de réaliser cette action. Une fois que je considère que le protocole que j’ai trouvé est le bon pour moi, c’est là que je deviens très réfractaire au changement, d’où la rigidité mentale. Cela étonne les gens, qui me connaissent un peu et qui savent que je suis un tantinet psychorigide, et qui me voient tester divers protocoles pour réaliser une même action. C’est simplement que je suis dans la phase d’élaboration de mon protocole et que je ne l’ai pas encore figé.

Par exemple, récemment, j’ai changé de travail, cela implique un énorme lot de nouvelles actions. Évidemment, au début, c’est un camouflage renforcé en béton armé, au moins pour les quelques premiers mois. Puis je vais forcément me fatiguer, je ne peux pas autant camoufler pendant une si longue période sans m’épuiser. Mais bon, il faut bien valider la période d’essai. Parmi les nouvelles actions à réaliser, il y a se rendre dans les bureaux du nouveau travail, qui sont à une nouvelle adresse. Je suis archi nulle en orientation, je me déplace en trottinette et je déteste activer le positionnement GPS sur mon téléphone. Oui, je sais, je suis gratinée comme nana. Je vais donc me rendre à ce nouveau travail en suivant les repères que je connais dans Paris. Mes premiers trajets ne vont pas du tout être optimisés pour me rendre sur mon lieu de travail. Au fur et à mesure des trajets, je vais essayer de rendre le trajet un peu plus optimal en testant quelques petites variations tous les jours jusqu’à obtenir un trajet qui est le bon pour moi. Pendant l’élaboration de ce trajet, un collègue, qui habite près de chez moi m’a expliqué quel trajet il prenait pour venir, son trajet étant bien meilleur que le mien, j’ai donc intégré une partie de son trajet au mien. Cela ne m’a posé aucune difficulté puisque j’étais encore en train d’élaborer mon propre trajet.

Ces routines, je peux les mettre en place consciemment, comme le trajet pour aller au travail, ou alors inconsciemment même si, à postériori, j’en prends conscience. Lorsque je m’en rends compte à postériori, je suis plus devant le constat que je fais telle ou telle chose de telle et telle manière. Cela peut aussi être une personne tierce qui me fait remarquer que je fais toujours quelque chose de la même manière.

Que se passe-t-il si mes routines sont perturbées ?

Pour cela, j’ai remarqué qu’il y a plusieurs cas de figures.

Le premier cas de figure, c’est lorsque l’action à réaliser n’est pas une routine avec rigidité mentale. Par exemple, découper les légumes à une certaine taille en fonction des plats que je prépare, c’est une routine avec rigidité mentale. Je vais préférer découper moi-même les légumes plutôt que de laisser d’autres personnes le faire, car je suis certaine que je découperai les légumes à la taille que je veux. Mais pour les routines sans rigidité mentale, il n’y a pas de problème, vous pouvez faire n’importe quoi, cela ne va pas m’affecter. Par exemple, je peux éplucher une pomme n’importe comment, je m’en fiche, et vous pouvez éplucher une pomme de la manière dont vous le souhaitez devant moi, je m’en fiche. Vous pouvez aussi découper les légumes à la taille que vous le souhaitez si le plat n’est pas pour moi, je m’en fiche. Donc, dans le cas des routines sans rigidité mentale, il n’y a pas de soucis. Il se peut que j’épluche les pommes toujours de la même manière, mais je pourrais les éplucher d’une autre manière tant que l’épaisseur de l’épluchure est la même. Bon ok, la rigidité mentale est dans l’épaisseur de l’épluchure. Une fois, nous avions invité une amie chez nous et au moment de manger les fruits, elle a pris une pomme et l’a épluchée devant moi avec un couteau. Je ne pouvais pas m’empêcher de regarder l’épaisseur de la taille de l’épluchure, que je trouvais beaucoup trop épaisse. Je ne lui ai évidemment rien dit, mais intérieurement, je n’en pouvais plus. C’est pour cela que j’aime certains économes et pas d’autres, ils n’épluchent pas les fruits et les légumes avec la même épaisseur d’épluchure.

Edit : Je me rends compte qu’il n’y a pas de routine sans rigidité.

Le deuxième cas de figure, c’est donc pour les routines avec rigidité mentale, comme je viens de vous l’expliquer, cela me pose un problème. Soit je peux y remédier en faisant l’action moi-même. Raison pour laquelle, parfois, je veux faire l’action moi-même plutôt que de vous laissez faire, soit je vais carrément vous le dire, en demandant de faire autrement, c’est à dire de la façon que j’aime selon ma routine pour cette action. Cela dépend des relations que j’entretiens avec vous. Si vous êtes proches de moi, je vais vous le dire, sinon je camouflerai en prenant sur moi, donc je ne dirai rien, mais je vais être obnubilée par le fait que vous faites quelque chose qui n’est pas la manière dont je fais ce quelque chose. Si je ne fais pas attention, vous allez me voir vous fixer, ou fixer vos gestes de façon très insistante. Là, cela veut dire que je suis bloquée sur ce que vous êtes en train de faire.

Mon but n’est pas d’entrer en conflit avec vous, mon but c’est de protéger ma routine et de m’épargner de l’anxiété, du stress voire de la colère. Je le redis bien mon but n’est absolument pas d’être en conflit avec vous. A vrai dire, je ne pense même pas à cela lorsqu’une de mes routines est menacée, je suis juste concentrée sur ma routine.

Qu’est-ce que je ressens à ce moment-là. Je vous laisse visionner le passage avec Sheldon dans la série télévisée que j’ai mis ci-dessus et vous aurez une bonne idée de ce que je ressens à ce moment-là. Je suis à la fois frustrée, agacée, irritée voire en colère en fonction de ce que je vois. Si je n’ai rien pu faire pour corriger la situation, je vais probablement ruminer cela un certain temps, et cela peut être plusieurs jours. Ma femme pourrait vous confirmer allégrement que je peux ruminer sur plusieurs jours quelque chose qui m’a déplu.

Je me rends compte, en revisionnant l’extrait de la série télévisée The Big Bang Theory, que le point n’est que sur le fait de finir une action, et pas la façon de faire l’action. En réalité, c’est pareil, faire l’action différemment, ou bien ne pas pouvoir la finir, je vais réagir de la même manière. Si je ne peux pas finir ma routine, je vais être bloquée jusqu’à pouvoir finir la routine en question. Mon agacement va augmenter au fur et à mesure que je dois repousser la fin de ma routine.

Comment modifier mes routines ?

Vous allez me dire que les choses ne sont pas immuables et que parfois il faut se mettre à jour. Et vous avez tout à fait raison.

Parfois, je me rends compte qu’une de mes routines n’est plus à jour ou bien n’est plus optimale selon mon jugement. Prenons l’exemple de la brosse à dent. Pendant longtemps, je me lavais les dents avec une brosse à dent manuelle. J’avais ma routine bien en place et je n’avais aucune raison de la changer. Un jour ma femme achète une brosse à dent électrique et me propose de l’essayer. Je l’ai essayé quelques secondes et je n’ai pas du tout aimé la sensation en bouche. Je lui ai rendu la brosse à dent électrique en lui disant que cela ne me convenait pas du tout et qu’il était hors de question que je change de ma brosse à dent habituelle. Ma première réaction a été de refuser la nouvelle brosse à dent, sans vraiment la tester en réalité. Le refus a été catégorique et sans objectivité. Ma routine était menacée et j’ai protégé ma routine. Sauf que j’ai des problèmes de dents. Je suis une bonne cliente des dentistes et elles me reprochent que mon brossage n’est pas aussi bon que ce qu’il le faudrait. Chaque dentiste me dit qu’il faut utiliser une brosse à dent électrique, que cela nettoie les dents bien mieux que les brosses à dents manuelles. Face à cet avis unanime contre ma routine, je dis à ma femme que je veux bien retester sa brosse à dent électrique avec une brosse à poils doux plutôt que la brosse à poils durs qu’elle utilise. Je me lave les dents avec et je gratte mes dents pour voir s’il reste des saletés et effectivement, je trouve que mes dents sont bien mieux nettoyées avec beaucoup moins d’efforts de ma part. J’achète donc ma propre brosse à dent électrique et je m’y habitue doucement. Il y a malgré tout, un temps d’adaptation à ne pas sauter si je veux que ma routine soit bien modifiée. La fois suivante, la dentiste me confirme que mes dents sont impeccablement nettoyées. Ce qui valide ma nouvelle routine. En effet, se laver les dents avec une brosse à dent électrique n’est pas pareil qu’avec une brosse à dent manuelle. Le geste n’est pas tout à fait le même, le temps de brossage n’est pas le même et ainsi de suite. En revanche je lave toujours les dents dans le même ordre.

Parfois, mes routines se remarquent au travail. Un collègue, que j’apprécie beaucoup m’a dit qu’il faut apprendre à savoir lâcher prise, surtout lorsque nous montons en séniorité. Que lui-même travaillait son « lâcher prise ». Je me suis donc mise à travailler mon « lâcher prise ». Je ne sais pas si je réussis bien à ce petit jeu, mais j’y travaille.

Vous pouvez légitimement vous poser la question de savoir ce qu’il faut faire lorsque mes routines sont trop envahissantes. Lorsque j’essaie de trop contraindre mon entourage à faire quelque chose à ma manière plutôt que de vous laissez vivre, parce que, soyons objectives, je peux être agaçante. Bien sûr, cela m’est arrivé plein de fois dans ma vie. Ce n’est pas mon premier rodéo comme diraient nos amies d’outre Atlantique.

J’ai remarqué que la façon la plus efficace de me faire changer ma routine, ce n’est pas de m’attaquer frontalement. Si vous avez lu mes autres articles sur l’autisme, vous pouvez vous douter que cela ne se passe pas bien, pour vous comme pour moi. Je vais me sentir menacée et je réagis assez mal à cela. Dans ces cas extrêmes, je suis du genre à suivre l’adage suivant : je vais y perdre des plumes, mais je ne serai pas la seule. Pour me faire changer une routine, le plus simple, c’est de me demander. Hé oui, parfois il ne faut pas aller chercher minuit à quatorze heures. Après, demandez-moi en m’expliquant bien le problème. Je suis du genre « people pleaser » si je comprends la situation. Je vais de moi-même chercher une nouvelle routine pour remplacer la précédente et qui convienne à tout le monde.

N’essayez pas de supprimer de force une de mes routines, comme je viens de le dire, cela va être coûteux pour tout le monde, il vaut mieux comprendre la routine, sa fonction, et la remplacer par une autre routine, qui convient aussi à mon entourage et qui remplit la même fonction.

Malgré tout, il va y avoir des routines sur lesquelles je vais avoir beaucoup de mal à m’infléchir. Je peux, dans une certaine mesure, camoufler, c’est à dire, prendre sur moi pour vous faire plaisir, mais le naturel va revenir au galop. Pour ces routines, demandez-vous si vous ne pouvez pas me les laisser, si vraiment cela vous gêne tant que cela. Cette catégorie de routines sont généralement liées à ma sensorialité, cela va être extrêmement difficile pour moi d’agir dessus. Par exemple, je me lave les mains d’une certaine manière, ce qui prend un certain temps, et je consomme une quantité d’eau non négligeable, est-ce que vraiment, vous devez me faire la guerre là-dessus ? Sur les routines qui vont vraiment vous affecter, généralement, je peux soit la modifier, soit la remplacer. Je suis une autiste avec un haut niveau de camouflage, il devrait y avoir un moyen de trouver un terrain d’entente. Par contre, pour le rangement, c’est mort, les choses ont leur place et doivent être à la leur place, bien rangées !

Quelques exemples de mes routines.

Cuisiner. Comme je l’explique dans mon article sur les hypersensibilités, quand je fais une recette de cuisine, je veux que ce soit fait de la même manière pour obtenir le même résultat. Si je découpe les légumes à une taille différente ou bien si je cuis la viande différemment, si le résultat obtenu n’est pas exactement le même, ça va m’irriter. Comme je le disais dans l’autre article, j’ai commencé ce blog afin de pouvoir obtenir des plats identiques d’une fois sur l’autre. Un jour, j’ai voulu tester une cuisson différente pour le boeuf bourguignon et j’ai obtenu une texture de viande différente, le plat ne me plaisait plus du tout. Comme je n’aime pas gâcher, j’ai mangé mon plat, mais j’étais passablement irritée. Il me semble avoir passé tout le repas à dire « rha la viande, elle n’est pas pareille ». Ma femme me rassurait en me disant que c’était très bon quand même, mais pour moi non, ce n’était pas pareil, donc ce n’était pas bon.

Me déplacer. Quand je vais au même endroit, je prends toujours le même chemin. S’il y a des travaux ou bien autre chose qui m’empêche de prendre le chemin que je prends d’habitude, admettons, pour aller au travail, je vais être assez énervée. Je risque d’être de mauvaise humeur toute la journée. Par exemple, je suis encore en train de pester contre ce qui m’a empêché de suivre mon chemin habituel, le soir, lorsque je rentre chez moi. L’autre raison pour laquelle je déteste prendre un autre chemin quand je ne peux pas prendre mon chemin habituel, c’est que je me perds très facilement. Je suis capable de me perdre dans mon quartier, je ne mémorise jamais les noms de rues, alors me faire changer de mon chemin habituel, c’est aussi un risque de me perdre. Et je déteste renseigner ma position GPS sur mon téléphone.

Faire mes courses. Quel que soit le magasin, une fois que j’ai établi une routine, je la suis toujours. Je fais partie de ces autistes qui aiment bien aller dans les hypermarchés. Je fais toujours les rayons dans le même ordre, je remplis mon caddie de produits dans le même ordre. Il n’y a qu’une fois que j’ai fait tous les rayons et que j’ai fini ma liste de course que je me mets à déambuler dans les rayons de façon non routinière. Si je dois acheter qu’un seul produit dans un hypermarché, je vais être très frustrée de ne pas pouvoir faire tous les rayons dans mon ordre habituel. C’est la raison pour laquelle j’ai énormément de mal à faire des courses à l’improviste, ou des courses soir par soir, alors que je vis dans Paris. Cela impliquerait que je doive court circuiter ma routine de supermarché. Autrement, je fais des courses sur une application en ligne, je me déplace dans l’application toujours de la même manière, de façon très procédurale. Malgré tout, de toutes mes routines, la routine « faire mes courses » est la routine qui accepte le plus de souplesse pour m’adapter aux besoins. Enfin, je crois.

Mon arrivée quotidienne au travail. Je ne parle pas de changer de travail, je parle de tous les matins, lorsque j’arrive au travail, j’ai une routine. Vous allez me dire que vous aussi, vous arrivez au travail, vous prenez un café, et ensuite vous vous installez, ou inversement. La différence, c’est que si vous avez une réunion qui vous empêche de prendre un café, ce n’est pas bien grave, vous n’aurez pas de problème à suivre la réunion. Vous prendrez votre café ensuite. Cela vous fera un sujet de discussion pour un moment de small talk. Encore une fois, dans le cadre de l’autisme, la différence se fait dans ma réaction à un événement. Si je ne peux pas faire ma routine du matin parce que vous m’embarquez de force dans une réunion, je vais être incapable de suivre la réunion, parce que je serai obnubilée par le fait que je n’ai pas pu faire ou finir ma routine du matin. Puisque c’est le travail, c’est l’endroit où je masque le plus, vous n’allez pas m’entendre râler, pourtant je n’arriverai pas à passer outre ma contrariété. Pour mon travail actuel, le matin, quand j’arrive, et cela n’a pas été pareil pour tous les emplois que j’ai eus, je pose ma trottinette, j’aime bien que ce soit toujours au même endroit, je dis un « bonjour » général, car il me semble qu’il faut dire « bonjour », mais je n’aime pas faire la bise, je pose mon sac, j’enlève ma veste si j’en ai une, je sors mes affaires de mon sac, je branche mon ordinateur je vérifie les réglages de mon poste de travail et je vais me chercher à boire et éventuellement quelque chose à grignoter. Cela a l’air normal et d’une banalité affligeante, mais je vous assure que si je ne peux pas faire et finir cette séquence d’actions, je vais être terriblement contrariée et non opérationnelle.

Faire la vaisselle. Je fais toujours la vaisselle de la même manière, quelle que soit la quantité de vaisselle à faire. Je dois absolument frotter la vaisselle partout avec une éponge qui a du produit de lavage. Si je fais une vaisselle que à l’eau, cela va grandement me perturber, je vais avoir l’impression que la vaisselle n’est pas propre, pas désinfectée. Parfois je dis que les gens ne font pas la vaisselle mais que seulement ils rincent la vaisselle. Cela m’énerve lorsque les gens font cela chez moi et rincent un verre et le remettent dans la vaisselle propre pensant m’aider. NON. Cela m’irrite, car je dois vous surveiller et remettre le verre SALE dans le tas de vaisselle sale. Ne faites pas ça ! De plus, quand je frotte la vaisselle avec mon éponge qui bulle bien de produit vaisselle, je ne fais pas couler l’eau. J’ai l’impression de gâcher l’eau. Je sais qu’en France, l’eau est un moins un problème, mais aucun rapport en fait. Cela fait partie de mes rigidités. Une fois que j’ai un tas de vaisselle bien frotté, ensuite, je rince puis je mets la vaisselle à égoutter. Si j’ai besoin de la place pour refaire un autre tas de vaisselle, je vais essuyer la vaisselle avec un torchon. Parfois les gens rangent la vaisselle encore un peu humide. Vous faites ce que vous voulez chez vous, mais ne faites pas ça chez moi. Je fais même sécher la vaisselle après l’avoir essuyée sur le plan de travail toute la nuit pour être certaine que la vaisselle n’est pas humide avant de la ranger. En réalité, il y a une exception, c’est la vaisselle qui sort du lave-vaisselle, elle est encore humide et je la range ainsi.

Parfois, quand je vais chez les gens, je touche leur vaisselle, et je trouve cela gras. Je peux le faire tranquillement dans les locations. Alors je lave la vaisselle avant de l’utiliser. Ce n’est pas parce que je ne vois pas la saleté que je ne considère pas que c’est sale. Si au toucher c’est gras, alors c’est sale !

Le rangement. J’aime bien, ou plutôt, je veux que les choses soient rangées à leur place, place que j’ai déterminée. Ainsi quand je les cherche, je sais où les chercher. Je ne vais pas en dire plus sur cette routine sinon je vais écrire un article dans l’article. Cela provoque pas mal de conflits familiaux.

Le ménage. J’ai une façon très systématique de faire les choses. Quand je fais le ménage, premièrement je dois ranger, puis je dois passer l’aspirateur, puis je dois passer la serpillère ou les lingettes pour le sol. En parallèle, je vinaigre les points d’eau de la maison. La cuisine et les salles de bains ainsi que les toilettes ont le droit à un nettoyage plus sur mesure et plus fréquent. J’ai beaucoup de mal à faire le ménage en partie ou par morceau. Ce qui fait que je n’arrive plus à faire le ménage chez moi si c’est constamment le bazar, puisque la première étape n’est pas validée. En plus, je dois réaliser chaque étape avec une procédure bien définie. Ce serait trop simple autrement. Et honnêtement, le ménage c’est épuisant, je suis à court de cuillère.

Prendre ma douche. Sans entrer trop dans les détails, je réalise toujours les mêmes gestes dans le même ordre. Encore une fois, modifier cet ordre ou en réaliser qu’une partie est difficile pour moi. Je me savonne, je fais mon shampooing, mon après-shampooing, puis je me sèche, et ainsi de suite. J’utilise toujours le même matériel pour me laver. Je mets un temps certain pour me laver. Je me sers souvent de la douche pour me réchauffer aussi.

Me laver les mains. Je me lave les mains toujours de la même manière, en faisant les gestes dans le même ordre. Je mets un temps certain pour me laver les mains en réalité. Cette routine s’est terriblement renforcée depuis que j’ai une maladie dysimmunitaire et que je prends un traitement qui me rend immunodéprimée.

Bien entendu, c’est une liste non exhaustive. Notamment pour une bonne raison, je ne suis pas certaine d’avoir conscience de toutes mes routines. De plus, je ne vais certainement pas raconter les routines que j’ai au travail sur un article public.

Oui, mais les allistes aussi ont des routines.

C’est vrai, bien sûr. Ce que vous avez du mal à comprendre avec une autiste qui a une capacité comme la mienne de camoufler, c’est que j’ai l’air normale, et que vous vous dites que je suis comme vous. Celles qui me connaissent savent que je suis bizarre, mais quand même, si je vous dis que je suis autiste, vous me répondez que je suis trop normale pour être autiste. Il faudrait savoir, je suis trop bizarre ou bien trop normale ? Je vous taquine.

Si vous perturbez ou interrompez la routine d’un alliste, normalement, cela ne devrait pas vraiment poser de problème. Avec moi, cela peut aller jusqu’au conflit. Cela dépend dans quel état je suis. De plus, intérieurement, c’est toujours très compliqué pour moi. Évidemment, cela, vous ne le voyez pas.

Vous pensez que je suis comme vous, comme les allistes, parce que je peux suffisamment camoufler pour avoir l’air non autiste. Je ne fais pas les stéréotypies très connotées autiste, j’ai une bonne capacité à verbale, je suis suffisamment intelligente pour que dans l’imaginaire collectif, je ne sois pas autiste. Il faut comprendre que depuis le DSM V, donc depuis 2013, il n’y a qu’une seule catégorie d’autisme. La différence entre une autiste telle que vous l’imaginez et moi, c’est principalement ma capacité de camouflage. De plus, l’autisme est un spectre, chaque autiste a un ensemble de traits autistiques qui varie d’une autiste à une autre. Je ne suis pas non verbale et j’ai une très bonne capacité à camoufler, j’ai l’air alliste. Il est donc difficile pour vous d’imaginer que pour moi, mes routines sont aussi importantes que votre petit cousin autiste de 5 ans qui est non verbale et avec une déficience intellectuelle et qui n’a pas de capacité de camouflage, qui se déplace sur la pointe des pieds, qui ne vous regarde jamais dans les yeux et qui ne vous répond jamais lorsque vous lui parlez.

Il ne vous viendrait pas à l’idée d’interrompre ou de perturber la routine de votre petit cousin de 5 ans qui a été diagnostiqué avec un autisme de niveau 3, parce que lui, c’est un vrai autiste, contrairement à moi, qui serait une fausse autiste. Pourtant, j’ai le même autisme que votre petit cousin. Contrairement à votre petit cousin qui a besoin d’un niveau de soutien élevé ce qui justifie l’autisme de niveau 3, j’ai, quant à moi, seulement besoin d’un niveau de soutien faible parce que j’ai la capacité de compenser, d’où un autisme de niveau 1. Cette capacité à compenser, ce camouflage est très couteux pour moi et je sais que c’est très difficile pour vous de le comprendre.